Carnet de voyage de mon immersion à Pandai Sikek avec ma fille : deux semaines chez l’habitant, en famille, chez les Minangkabau, une ethnie musulmane et matriarcale.
Entre avril et mai, Petite Oreille et moi sommes parties 5 semaines à Sumatra, en Indonésie, pour un projet un peu spécial : réaliser une série de vidéos pour Evaneos, qui organise des voyages sur-mesure en direct avec des agents locaux. Le concept : partager le quotidien de deux familles, dans deux villages (voir le premier article pour en savoir plus). Ce fut un voyage exceptionnel pour ma fille comme pour moi. Et avant de vous montrer les vidéos (à la rentrée !), voici quelques bribes consacrés à la première partie de notre voyage en Indonésie : notre séjour en Sumatra Occidental.
Le jour où nous sommes arrivées à Pandai Sikek
On n’arrive pas comme ça à Pandai Sikek. Enfin, si, n’importe qui peut arriver au village. Il est facile à trouver en venant de Padang, il suffit de prendre la grande route vers Bukittinggi, puis de tourner à Koto Baru. Mais hors de question que Petite Oreille et moi soyons déposées directement chez nos hôtes. Non. Il faut respecter le cérémonial. Nous nous rendons à la mairie pour les présentations officielles. C’est un joli bâtiment qui domine le village depuis une colline. Tout le monde parle indonésien. Très vite. Mais je ne comprendrais pas mieux s’ils parlaient lentement.
En l’espace de quelques minutes on m’a présenté une dizaine de personnes et fait asseoir dans un petit salon aux fauteuils couverts de plastique. Je n’ai retenu aucun nom. Petite Oreille est partie jouer avec une employée. Je l’observe passer et repasser dans le couloir, elle a l’air de s’amuser. On a déposé un café devant moi sans me laisser le temps de décliner. Je hoche la tête en souriant quand on me parle. Je commence à me demander dans quelle histoire je me suis embarquée. Était-ce vraiment une bonne idée de passer deux semaines entières dans ce petit village ?
Une dame arrive. Elle est la seule à ne pas porter d’uniforme. C’est notre hôte. J’essaie d’échanger quelques mots en anglais.
What’s your name ? Dar. What’s your husband’s name ? He’s dead.
Mince. Elle commence bien cette immersion.
Dar est souriante. Elle semble ravie de nous accueillir. Toute la mairie (ou presque) se met en route pour nous emmener à la maison. Pendant les deux prochaines semaines, c’est là que nous logerons. Deux semaines d’immersion pendant lesquelles Petite Oreille et moi partagerons le quotidien de cette famille, et du village.
Lorsque nous entrons dans la maison, une femme est en pleine prière, au milieu de la cuisine. Tout le monde la contourne pour s’attabler, comme si de rien n’était. Des voisins, des passants, entrent pour dire bonjour. Je ne retiens toujours aucun prénom mais je m’efforce de sourire.
Et puis peu à peu, la maison se vide. Nous voilà seules avec nos hôtes.
Il me faudra plusieurs jours pour comprendre qui est qui par rapport à qui. Cette manie indonésienne d’appeler tout le monde Tata ne m’a pas franchement aidée ! Car ici, on appelle des personnes de la génération d’au-dessus Tata ou Tonton, et les personnes de même âge Sœur ou Frère, même s’il n’y a aucun lien du sang. Le moment où cela m’a été expliqué fut d’ailleurs l’occasion de nombreux quiproquos !
Tek Dar (tek = tata dans la langue locale) vit donc chez Tek Non. Elles sont sœurs, leurs enfants sont grands et partis vivre à la ville. Elles hébergent les deux petites-filles d’une de leurs deux autres sœurs, Eugenia et Tessa. Les deux adolescentes passent leurs journées entre l’école et la maison familiale voisine, avant de regagner la maison de Tek Non à la nuit tombée. Je n’ai pas vraiment compris pourquoi les deux jeunes filles venaient dormir là. J’ai juste croisé leur père, brièvement.
Sur le premier croquis, ce sont elles. Dar, Petite Oreille, Non, Eugenia et Tessa. Notre famille d’adoption pendant ces deux semaines de logement chez l’habitant. Aucune ne parle anglais. Mais on arrivera toujours à échanger.
Le second croquis, c’est la famille de Riska. Mais elle, je vous en parle après !
Dar et Non vivent dans une maison traditionnelle. L’habitation est spacieuse et lumineuse, avec un ameublement très minimaliste. Les trois chambres donnent toutes sur le salon. Une petite boutique se trouve à côté de l’entrée, dans une grande cuisine / salle à manger.
Ici, chaque maison a son bassin. Un ingénieux et complexe système d’irrigation permet de faire circuler l’eau de la rivière dans tout le village, traversant les cultures et les bassins. Et qu’est-ce qu’il y a dans les bassins ? Hé bien des poissons ! On leur jette les restes de nourriture et les enfants pas sages.
C’est Non elle même qui tient la boutique, et Petite Oreille en fera rapidement un endroit de jeu. Mais en ce premier soir, elle n’ose pas encore trop s’y aventurer. Nous sommes tout juste arrivées en Indonésie. Paris – Amsterdam – Kuala Lumpur – Jakarta – une nuit à Padang et nous voici à Pandai Sikek. Le dépaysement est total. La fatigue aussi. Après le repas, Non la prend dans les bras. Elle lui caresse les cheveux, l’embrasse sur le front. Des bras de Dar, ma fille passe rapidement à ceux de Morphée. La journée a été riche en émotions, et le voyage ne fait que commencer.
Le moment où j’ai rencontré Riska
Au moment où j’ai rencontré Riska, je ne savais pas encore l’importance qu’elle prendrait durant notre séjour. Elle est venue le premier jour, avec sa fille, en voisine curieuse. Puis est revenue le lendemain. Elle parlait un peu anglais et avait très envie de discuter.
Au matin du quatrième jour, elle est arrivée avec une lettre. Sur la feuille, recto-verso, elle m’expliquait longuement qu’elle voulait être mon amie. Elle avait passé la soirée à préparer sa missive sur Google Translate. C’était adorable, et pourtant j’ai pris peur. Ayant déjà un peu bourlingué en Asie, je sais que les arnaques sont fréquentes et revêtent souvent le masque de la gentillesse. J’ai décidé d’essayer de rester naïve, de laisser sa chance à une belle histoire. Et je ne l’ai pas regretté.
Jamais je n’avais rencontré pareille personne. Pendant deux semaines, Riska est venue nous voir tous les jours, prenant à cœur de nous montrer son village, ses traditions, sa culture. Nos filles ont le même âge, à quelques jours près. Nous avons le même âge. Plus je discute avec elle, plus je sens que nous nous ressemblons, le fossé culturel est loin de nous séparer. Au contraire.
Riska vit avec sa mère. La société Minangkabau est matriarcale. La femme a le pouvoir, c’est elle qui garde l’argent, hérite des biens. C’est donc le mari qui vient habiter chez la femme. Le conjoint de Riska travaille à Bukittinggi, la grande ville la plus proche. C’est là qu’ils se sont rencontrés. Elle était professeur là-bas. Mais même dans un société matriarcale, c’est Riska qui a quitté son emploi pour s’occuper de Tasya à sa naissance. Dans quelques semaines, la petite fille ira à l’école maternelle, et sa maman commencera alors un nouveau travail à la mairie.
La maison de Riska est grande et moderne, construite en dur par son père. Entre les meubles en bois sculpté et le matériel hi-tech, on voit tout de suite que c’est une famille riche. Les six frères et sœurs de Riska sont partis travailler dans le domaine médical à Batam, une petite île au large de Singapour. Riska n’en parle pas, mais je sens bien la frustration et l’ennui. Elle est restée parce que quelqu’un devait s’occuper de sa mère, mais elle tourne en rond dans ce petit village. Brillante et cultivée, elle ne s’imaginait sans doute pas mère au foyer.
Riska s’occupe aussi d’un petit garçon, Azam. C’est un petit peu comme un fils adoptif, par voie de fait. Ses parents sont partis du jour au lendemain alors qu’il n’avait que neuf mois. Personne ne sait où ni pourquoi. C’était il y a 8 ans. Azam et souriant, très doux. Il joue les grands frères avec Petite Oreille. Ça rend Tasya jalouse, elle voudrait garder sa copine rien que pour elle...
Mais Azam va à l’école laïque le matin, et à l’école coranique l’après-midi, alors toute la journée, Tasya peut jouer tranquillement avec nous, et venir explorer les environs.
Ci-dessus : Riska nous a emmenéee assister à l’entraînement de foot, pendant que le soleil le couchait sur le volcan Marapi.
Ci-dessous : chez l’oncle de Riska, Azam, Petite Oreille et Tasya essaient de guider un insecte vers le jardin...
Le moment où Petite Oreille a piqué le lit de la Nenek
Si, en tant que trentenaire, je devais dire Tek Non et Tek Dar, Petite Oreille, elle, les appelait Nenek (« néné » avec l’accent local), grand-mère. Tek Non commence sa journée à 5h, comme tout le monde ici. A 4h30, le muezzin entame son discours matinal, et c’est un bavard, impossible de se rendormir. Une prière, et quelques minutes plus tard, Non est déjà prête pour se rendre au marché. Il est tout petit mais a lieu tous les matins. On y achète des fruits, des poules, du poisson, ou des aliments déjà préparés. Ensuite Non commence sa journée de travail, partagée entre le champ et la petite boutique. Elle n’a pas d’horaire, elle ouvre quand elle veut. De toute façon, si la boutique est fermée, les voisins toquent à la porte de la maison.
Elle y vend une variété surprenante de produits dont le seul point commun est d’être en emballage individuel. Des nouilles, des sachets unidoses de shampoing, des pansements, des bonbons. La boutique a un gros succès auprès des écoliers qui s’y arrêtent pour le goûter.
Au sol, un matelas. Les journées de Non sont longues, alors elle fait souvent la sieste, entre deux clients. Mais pendant notre séjour, elle n’a pu beaucoup dormir : son lit était squatté par une Petite Oreille qui s’était prise d’affection pour elle.
Le jour où ma fille a été kidnappée
Ma fille est rapidement devenue la coqueluche du quartier. Un jour, nous sommes rentrées alors qu’Eugenia était à la maison avec toutes ses copines. Forcément, elles ont joué avec Petite Oreille, s’amusant à lui apprendre des mots indonésiens. Un groupe de jeunes filles qui lui font des bisous et s’intéressent à elle, c’est parfait pour Petite Oreille. Et quelques minutes plus tard, voilà qu’elle partait dans la maison du père d’Eugenia et Tessa, sans moi. Cueillir des fleurs de bougainvillier et poser pour des dizaines de selfies, elle était bien, là-bas !
(Toutes ces jeunes filles ont des comptes Instagram très actifs !)
La fois où on est allées voir Dar à son atelier
Nous nous promenions avec Riska et Tasya quand il s’est mis à pleuvoir. On s’est mises à l’abris dans l’entrée d’une maison. Mais quand Riska a toqué à la porte, j’ai compris qu’il ne s’agissait pas de n’importe quelle maison : c’est l’atelier de Dar.
Dar tisse le sonkget. Pandai Sikek est réputé pour ce textile, très fin, où des fils d’or et d’argent s’insèrent au milieu de la soie pour créer des motifs. C’est superbe, et c’est aussi extrêmement cher. Dar a deux métiers à tisser dans son atelier. Nous la regardons faire un long moment. Puis elle sort ses albums de famille, dans lesquels des vieilles photos d’elle aux cheveux courts et blouson en cuir, côtoient des coupure de presse et des souvenirs de voyage. Elle a présenté son travail dans de nombreux salons, rencontrés de nombreuses personnalités grâce au songket. Elle met le doigt sur une photo et murmure avec un sourire « Hillary Clinton ». L’ex-secrétaire d’État des États-Unis est à côté de Dar, en train d’observer la technique artisanale du Sonket. C’était à Jakarta.
Dar est discrète, mais je devine aisément qu’elle excèle dans son art.
Et comme la pluie ne cesse pas, Dar et Riska entreprennent de me relooker avec le costume traditionnel. Me voir avec la robe et la coiffe les fait beaucoup rire. Et voyant Petite Oreille qui meurt d’envie d’essayer aussi, elles lui confectionnent également un costume à sa taille.
Aujourd’hui, cet habit n’est plus porté de façon quotidienne. Toute les femmes arborent des robes longues (ou des pantalons) dans des matières moins fragiles, même si un grand soin est toujours apporté à la tenue dès qu’il s’agit de sortir du village.
Le jour où on est allées à l’école
A partir de 4 ans, les enfants vont à l’école maternelle tous les matins, sauf le dimanche. J’avais demandé si Petite Oreille pouvait assister à une matinée, mais c’est à une véritable visite que nous avons eu droit ! On pourrait imaginer qu’une école coranique est un lieu austère. Mais à Sumatra, la religion est joyeuse. L’école est intégralement peinte, avec des couleurs dans tous les sens. La cour est remplie de jeux pour grimper, se balancer, travailler l’équilibre et la motricité. Au fond, un petit potager est entretenu par les élèves. L’institutrice m’explique qu’il s’agit d’un programme international qui promeut une vie saine.
Nous rentrons dans une première pièce. C’est une grande salle de jeux. Des instruments de musique, des toboggans... et la plus grande piscine à balles que j’ai jamais vue ! Plus loin, les enfants sont en classe. Nous sortons le globe gonflable, qui remporte un grand succès, bien sûr. Petite Oreille montre Sumatra, la France, explique que nous sommes venues en passant par Kuala Lumpur, Jakarta et Padang. L’objet fascine autant les enfants que les maîtresses qui se lancent dans un petit cours de géographie.
La fois où nous sommes allées voir Non au champ
Dès qu’il faisait beau le matin, Non partait au champ. Elle enfilait se tenue spéciale. Pantalon, bottes, chapeau, robe orange et pochette à téléphone portable autour du cou. Je ne savais pas vraiment où se trouvait le champ, mais Petite Oreille et moi avons rapidement pris l’habitude de nous promener dans les petits chemins. Le village est entouré de cultures. Chaque parcelle qui ne contient ni maison ni bassin est cultivée. On y trouve de tout : riz, bien sûr, mais aussi piments, concombres, choux... Les reliefs et le système d’irrigation permettent à tous d’avoir de l’eau. Des petits canaux sillonnent et quadrillent ainsi tous les environs du village. Longer une rizière, traverser un pont de bambou, observer les grenouilles...
Et puis un jour, Petite Oreille s’est stoppée net. C’est Non, c’est Non ! Une silhouette nous fait signe, au loin. Et voilà Petite Oreille qui traverse le champ en courant pour se jeter dans les bras de la veille dame, visiblement heureuse de nous voir.
Elle était en train de tailler les papayers qui bordent son champ. Je n’imaginais le terrain si grand. C’est impeccablement entretenu. Une petite cabane abrite le matériel, au bout du champ. Un drapeau indonésien flotte fièrement au dessus.
C’est une agriculture maraîchère traditionnelle. La majeur partie de la récolte servira directement à la consommation de la famille. Une forme d’autonomie que nous pourrions envier, même si elle représente un travail quotidien. Planter, désherber, entretenir...
Les plantations sont faîtes sur des monticules recouverts de plastique. Un trou par plant. Tek Non alterne des légumes, mélange les plantes.
Au fil de nos promenades, j’ai vu de nombreux habitants asperger leurs champs de produits. Insecticides, pesticides, difficile de savoir ce que contenaient les bonbonnes. Ils ne se couvrent pas le visage pour répandre ces liquides. Je ne sais pas s’ils ont remarqué qu’à chaque fois, je demandais à Petite Oreille de passer rapidement sans respirer...
Ce n’est pas à moi d’avoir un jugement sur leurs usages de produits chimiques, d’engrais. Ils travaillent tous toute la journée, il est normal de vouloir se faciliter la vie en utilisant ce genre de produits. Mais j’ai été surprise de voir à quel point leur usage était courant.
Le jour où Petite Oreille s’est prise pour une princesse indonésienne
Riska avait décidé de nous emmener à Padang Panjang. Elle m’en parlait depuis plusieurs jours. Elle adore cet endroit. On y loue des costumes de mariage traditionnels, le temps de quelques photos devant un très beau bâtiment avec un fameux toit en bagonjong. Tasya et Petite Oreille enfilent leurs costumes, et c’est parti pour un shooting improvisé !
Note : ce ne sont pas des costumes de mariées, on ne marie pas des petites filles de trois ans ! Ce sont les costumes qu’elles porteraient si elles assistaient au mariage d’un proche.
À gauche, les rumah gadang, ou rumah bagonjong, habitats traditionnels minangkabau, sont reconnaissables à leurs toits tout en courbes mais ils ont aussi la particularité d’avoir des façades sculptées et peintes.
À droite, Tasya et Petite Oreille se protègent d’un groupe de jeunes indonésiens qui les trouvaient trop mignonnes !
La fois où on s’est incrustées dans un mariage
- Y’a un mariage à Pagu Pagu, on y va !
– Euh, ok
– Faut que tu mettes une robe par contre.
– Euh, j’en ai pas.
– Attends, enfile ça !
Éclats de rire. Éclats de rire qui redoublent quand nous arrivons chez Ces. C’est une amie de Riska, qui a deux petits filles, plus jeunes que les nôtres. Déguiser la française est un jeu amusant, visiblement. Elles apostrophent Petite Oreille pour lui demander ce qu’elle en pense. Elle aime bien. Ouf. Mon accoutrement frise le ridicule. La robe est magnifique, mais j’ai gardé mon pantalon dessous car je suis incapable de monter sur le scooter en amazone, comme elles le font toutes ici. Et mes chaussures achèvent le look. Deux grolles marrons qui n’ont pour seul atout que d’être imperméables. Mi-Quéchua mi-chic, me voilà à Pagu Pagu, devant la maison des mariés.
- Alors, qui se marie ?
– Je ne sais pas.
– Hein ? Vous ne les connaissez pas ?
– Bah non !
– On va quand même pas aller au mariage de gens qu’on ne connait pas !?
– Mais si, viens.
Ces et Riska s’amusent de ma gène. Nous voici weeding crasheuses.
Les mariages minangkabau durent quatre jours. Il y a de nombreuses règles à respecter, et beaucoup d’invités. C’est la mère de la fille qui demande la main du garçon, et discute des termes du mariage avec la famille de celui-ci. Le marié viendra ensuite vivre dans la maison de sa belle-mère, ou dans la maison de son épouse.
Ce jour-là, c’était justement le jour du marié. La journée lui est dédié, c’est la cérémonie du changement de nom. Tous les hommes de la famille, les proches, sont réunis dans une pièce. Dehors, d’autres hommes sont attablés sous un grand barnum. Ils enchaînent cigarette sur cigarette en attendant le défilé de plats, préparés par les femmes, dans la cuisine de la maison.
De tout le séjour, je n’ai côtoyé pratiquement que des femmes. Les quelques hommes que j’ai croisés étaient très en retrait. Ils étaient polis, souriants, heureux d’échanger quelques mots, mais ne s’imposaient pas dans la discussion et restaient généralement dans un coin pendant que nous monopolisions le salon.
Ces et Riska discutent avec tout le monde, me montrent les plats, font goûter des « trucs » à Petite Oreille. La quantité de nourriture qui défile devant nous est impressionnante. Personne ici n’est en surpoids, mais dans chaque maison on vous reçoit avec de la nourriture, et on insiste pour que vous mangiez. Ce mariage ne déroge pas à la règle, il faut nourrir les invitées, et même les wedding crasheuses !
La fois où Petite Oreille a appris a pêcher
Depuis le début de notre séjour chez l’habitant, Petite Oreille se régale. Elle dévore tous les soirs son riz et plusieurs poissons, à la surprise de nos hôtes. Et à la mienne aussi, je l’avoue.
Tous nos repas contiennent du riz, toujours chaud grâce au cuiseur de riz qui trône dans la cuisine. Et selon les envies de Dar et Non, le riz est agrémenté d’aliments différents. Légumes, œufs, poissons, krupuk de peau de bœuf. (Tout comme je n’ai pas osé leur dire que je bois pas de café, je n’ai pas non plus osé leur dire que je suis végétarienne... Difficile ici de ne pas avoir d’animal à table.)
Lagi ikan ! Enak !
Petite Oreille se délecte du poisson frit, mais s’amuse aussi à nourrir les poissons du bassin. Non lui donne des restes de riz ou des gâteaux à jeter dans l’eau. Petite Oreille reste parfois une heure à distribuer patiemment les morceaux, pour tout répartir équitablement entre les poissons, mais uniquement ceux qu’elle aime bien. Genre le rouge, là, bah il est pas gentil alors je lui en donne pas.
Ils sont énormes. Le rouge, là, le pas gentil, doit bien faire 40cm. Et puis il y a des dizaines de petits poissons. Et c’est ceux-là qu’on va justement pêcher. Non m’explique que la ligne n’est pas assez solide pour les gros, mais en vrai, je la soupçonne de s’y être attachée, à ses gros animaux aquatiques.
Un après-midi, alors que Petite Oreille partageait son goûter avec les poissons, Non a donc sorti son matériel de pêche. C’est rudimentaire. Un bateau, du fil, un hameçon bricolé. Elle dépose les poissons dans un seau, Petite Oreille trouve ça super rigolo. Et si elle n’a aucun pitié pour les poissons, elle est toute triste pour le ver de terre coupé en morceau. Ouf, ma fille a quand même un peu de cœur !
Tessa et Eugenia rentrent de l’école. La cadette apostrophe sa grand-tante. Visiblement, pêcher l’amuse autant que Petite Oreille. Nous finirons ainsi l’après-midi, au bord des bassins, à remplir le seau de poissons. Puis Non fait le tri, elle remet à l’eau ceux qui sont trop petits. Le chaton de la maison réussit à en voler un, sous les éclats de rire généraux. Il ne reste plus qu’à les assommer, évider, préparer. Tessa laisse Non faire cette partie nettement moins sympa...
Le jour où nous avons fait du tourisme à Bukittinggi
Juste après Padang, Bukittinggi est la deuxième ville de Sumatra Occidental, la province dans laquelle nous nous trouvons. Pandai Sikek n’est pas très loin. Riska m’en parlait depuis plusieurs jours, elle voulait nous y emmener. Ce matin-là, Dar et Non avaient revêtu leurs beaux habits. Tout était organisé, Petite Oreille et moi n’avions qu’à suivre. En route ! J’ai attrapé un tote-bag, enfourné le k‑way de Petite Oreille, une gourde, un carnet, une batterie de rechange et mon 50mm. Trois scooters sont arrivés. Trois hommes que je ne connaissais pas. Dar et Non se sont assises en amazones, chacune sur un scooter différent. Petite Oreille s’est glissée entre Dar et son chauffeur. Ils nous ont déposées au bord de la grande route, où nous attendaient Riska et Tasya. Quelques minutes plus tard, nous nous glissions dans un mini-bus.
Il en défile en permanence, chacun allant à des endroit différents. Nos hôtes connaissent le réseau sur le bout des ongles, même si je n’ai pas su ce qui différenciait un bus d’un autre... Tout le monde se tasse à l’intérieur. Le confort est sommaire, mais chacun fait attention à ne pas empiéter trop sur le voisin. Une promiscuité polie.
Un changement de bus plus tard, nous arrivons à notre premier arrêt, le point de vue sur le cayon de Sianok. Le lieu est un peu étrange. Il y a des macaques partout, des fontaines avec des dauphins, une aire de jeux pour enfants, des mémoriaux militaires et les vestige d’un tunnel japonnais. Ce parc est en fait un condensé de l’histoire de Bukittinggi qui fut le quartier général de l’armée japonaise pendant la seconde guerre mondiale et fut aussi le centre du gouvernement républicain lors de la révolution indonésienne. (Jusqu’en 1949, Sumatra était une colonie hollandaise)
Dar, Petite Oreille, Non, Tasya, Riska, devant le canyon. Je crois que je n’avais jamais fait ce genre de photos, mais elles y tenaient. On a dû en faire 50, avec tous les téléphones, avec Dar et Petite Oreille, puis Non et Petite Oreille... Tout le monde photographie tout, tout le temps. Tout le monde a un smartphone rempli de photos, et de selfies.
Nous regagnons ensuite le centre ville et l’attraction principale de Bukittinggi : Jam Gadang, littéralement, la grosse horloge. C’est le Big Ben indonésien, une fierté locale qui aurait quelques particularités dans les mécanismes horlogers que seule Jam Gadang et sa cousine londonienne possèdent. Mais ne me demandez pas plus de détails, à ce moment du voyage mon vocabulaire indonésien était très limité !
Nous avons terminé la promenade au KFC. La scène me semblait à la fois extrêmement banale et totalement incongrue. Mes hôtes, magnifiquement habillées, avec leurs beaux hidjab brodés, en train de se partager du poulet frit dans un fast-food. Mais il faut savoir deux choses : on trouve des vendeurs de poulet frit partout, qui s’appellent tous KFC, et le « KFC officiel » sert de vrais morceaux de poulet (cuisse, aile, avec les os).
Le jour où nous sommes tombées nez à nez avec un biawak,
à quelques mètres de la maison
C’est le matin. Il fait beau. Je crois bien, d’ailleurs, que c’est la première fois qu’il y a un si grand soleil depuis que nous sommes là. Petite Oreille se réveille doucement. J’essaie de finir mon café. Non m’en fait un tous les matins. Le premier jour, je n’ai pas osé lui dire que je n’aime pas, et maintenant je suis coincée. Elle est en train de balayer autour du bassin à poissons. Soudain, elle m’appelle. Elle me fait signe de venir.
Biawak.
Sur un rocher, juste à côté, un gros lézard. Genre vraiment gros. Plus grand que trois Petite Oreille. C’est un varan, un cousin du dragon de Komodo. Je file chercher ma fille et mon appareil photo. Non, tu ne peux pas aller le caresser. Il est moins dangereux que son peu komode cousin, mais il reste impressionnant.
Non nous explique, l’air de rien, que ce gros reptile est souvent là le matin. Juste à côté de la maison. Ok. Le coquinou essaie de piquer des poissons dans le bassin, de temps en temps.
Le jour où nous sommes reparties
L’hébergement chez l’habitant n’a qu’un défaut : les adieux sont difficiles. Quitter un hôtel agréable est une chose. Quitter une famille d’adoption, des gens qu’on a appris à connaître, en est une autre. Alors ce jour-là, nous avons marché jusque chez Riska, pour lui dire au revoir, avec des promesses de revenir un jour. Sa mère avait les larmes aux yeux. Je crois qu’elle a vu sa fille et sa petite fille heureuses pendant deux semaines, et que la perspective de revenir à leur vie quotidienne l’attristait surtout pour elles.
Riska est revenue chez Non pour une deuxième session d’adieux. On s’est serrées dans les bras pour la première fois. J’ai souri pour masquer ma gorge nouée. Petite Oreille est restée longtemps collée à la vitre. Mais au premier tournant, les petites silhouettes ont disparu.
Quelques informations pour vivre une expérience similaire
Visiter Sumatra Ouest (Sumatra Barat) est assez aisé pour les voyageurs. Les transports en communs sont très développés, et vous trouverez facilement un scooter à louer pour la journée. De France, il n’existe pas de vols directs vers Padang (nous avons enchaîné 4 avions pour venir jusque là !) mais la région est ensuite assez facile à placer dans un itinéraire de 3 semaines à Sumatra.
Padang n’est pas une ville très agréable. Il y a une jolie (et gigantesque) mosquée, quelques beaux bâtiments. Faîtes rapidement le tour et montez dans un bus pour aller explorer les vallées environnantes ! J’ai fait le choix de rester dans le village pour en capturer des instants, mais la région mérite qu’on s’y attarde et qu’on s’y perde, entre les volcans et les cascades, les rizières et les montagnes.
L’hébergement chez l’habitant n’est pas quelque chose de classique dans cette partie de l’Indonésie (vous le trouverez plus facilement sur Bali, haut lieu du tourisme du pays). Les gens sont chaleureux, accueillants. Ils vous inviteront facilement chez eux pour quelques heures, mais débarquer plusieurs nuits demande un peu d’organisation !
Il vous faudra donc vous tourner vers des agences. Dans le cadre de ce projet, tout a été préparé par Evaneos, qui créé des voyages sur-mesure en direct avec des agents locaux.
Quelques images de plus
Une vendeuse dans une des nombreuses petites boutiques du village. Tout le monde vend de tout, dans un joyeux bazard organisé !
Petite Oreille et Nafla, la fille de Ces, dans une gargotte où nous nous étions arrêtées pour le repas. Nafla a quelques mois de moins que ma fille, mais ni ça ni la différence de langue ne les a empêchées de jouer ensemble.
Les maisons typiques et leurs bassins. Derrière, le mont Singgalang reste enveloppé dans les nuages...
Ci-dessus : le sechage du riz.
Ci-dessous : nos promenades dans les champs
De gauche à droite :
Le Marapi, un soir où il n’était pas couvert de nuages
Une petite rue de Pandai Sikek, la vie quotidienne
Le soir où le Marapi est entré en éruption ! (Et où personne n’a eu peur, parce que visiblement, c’est normal)
Ci-dessous : quelques instants en famille. Petite Oreille kidnappée par Dar, en session dessin, avec Non, en train de jouer avec Tasya
Le voyage #ImmersionSumatra a été réalisé en partenariat avec Evaneos, qui organise des voyages en direct avec des agents locaux.
Merci à Option Way ainsi qu’à l’Office de Tourisme d’Indonésie pour leur soutien dans ce projet.
19 commentaires
Magnifique récit ! Magnifiques photos (comme d’hab).
Je suis bluffée par tes croquis ! Et admirative par ton aventure. Aller chez l’habitant n’est pas fait pour tout le monde...
Oh, je pense que tout le monde pourrait apprécier un séjour chez l’habitant car ça reste le meilleur moyen pour découvrir une culture. Après, il est sur qu’il faut être curieux, et supporter d’avoir moins de confort qu’à l’hôtel. Pour autant, on profite tellement plus ainsi... !!
Très beau récit, et superbes dessins ! J’avais beaucoup apprécié les gens sur Sumatra aussi mais j’imagine que rester 2 semaines chez l’habitant est une autre expérience !
Merci beaucoup 🙂
Les Indonésiens de Sumatra sont hyper accueillants, mais c’est sur que rester longtemps permet de tisser de vrais liens. On est d’ailleurs encore en contact régulier sur whatsapp 😉
Quel beau carnet de voyage !
Merci beaucoup 🙂
Cela ne peut que nous donner envie. Dessins, photos et récit tout est tellement exitant. Bravo.
Merci Daniel !
Sublime et hyper émouvant ! Quel bonheur de partager ça avec ta fille ?
J’espère que bientôt ce sera ton tour 😉
Tes photos sont magnifiques mais j’aime encore plus tes illustrations.
J’aime à croire que photos, textes et croquis se complètent, racontent des choses différentes 🙂
Récit passionnant ! Un voyage dans le voyage... Merci de si bien le partager.
Merci à toi de le lire, surtout 😉
Quel bonheur ton article : du récit de voyage comme j’aime. De l’authenticité, du partage, de l’émotion et de magnifiques photos ! C’est beau de partager ça avec sa fille 🙂
Merci beaucoup Amélie 🙂
Les photos racontent beaucoup de choses à elles seules en plus d’être réussies. Merci pour le partage !
Petite question bonus : cet article est-il sponsorisé ?
Bonjour, dans le cadre de mes études, j’effectue actuellement un travail de recherche sur les sociétés matriarcales en Asie et je suis tombée sur votre blog en cherchant des informations sur les Minangkabau. Je voulais savoir si vous m’autorisiez à appuyer les propos de mon exposé sur votre expérience ? Mon travail ne sera présenté qu’à ma professeur, si cela peut vous rassurer.
Très belle expérience en tout cas, ça me donne de plus en plus envie de partir en Indonésie tout ça 🙂
Je me demandais aussi avec quel appareil prenez vous ces superbes photos ? Et est ce que vous les retouchez avant de la publier ?