Voici 10 ans que je parcours le globe.
En dix ans, j’ai vu le monde changer, et il m’a changée en retour.
Dix ans, c’est court, pourtant.
2009, premier voyage
J’ai 22 ans. Je déborde de curiosité. Je n’ai jamais pris l’avion. Je suis novice en bourlingue.
Avec mes parents, nous partions tous les étés sans jamais prendre l’avion. Nous allions camper et randonner dans les Pyrénées, presque chaque année, ou éventuellement dans le Massif Central. J’ai bien fait fait un voyage scolaire en Angleterre, une fois, et à mon arrivée à Paris, à la fin de mes études, je suis partie quelques week-ends à Amsterdam ou Bruxelles. Mais je suis vierge de tout visa.
Je rêve de territoires lointains, de grandes aventures, de rencontres au bout du monde, de montagnes indomptables et de steppes à perte de vue.
C’est ainsi qu’un soir d’avril, je me retrouve dans une gare de Moscou, oscillant entre excitation et panique. Je suis arrivée quelques jours plus tôt dans la capitale russe. Avec mon compagnon de voyage, nous logeons chez une dame, francophone et francophile. Elle est adorable. Mais Moscou n’est résolument pas la meilleure destination pour les voyageurs débutants que nous sommes.
Trouver mon chemin dans l’aéroport CDG. Garder mon sang froid en passant l’impressionnante douane russe. Me perdre dans le métro moscovite. Demander mon chemin à un politseyskiy imbibé. Je découvre tout en même temps, la Russie et les réflexes indispensables des voyageurs.
Ce soir-là, il fait froid à Moscou. Il a neigé sur la Place Rouge.
Je grimpe dans le transsibérien, pour 4 jours de traversée jusqu’au lac Baïkal. L’aventure commence. Je suis tétanisée. Je cherche les numéros sur les banquettes. Personne ne parle anglais dans le train, sauf une petite fille qui sait compter. Les visages sont durs. Tous nous dévisagent.
Qu’est-ce que je fous là ? Passer 4 nuits dans un train avec 54 russes, quelle idée à la noix !
Le train quitte Moscou. Il fait déjà nuit. J’essaie de fermer les yeux, de me convaincre que personne ne va m’égorger dans mon sommeil.
Je me réveille dans les plaines de Sibérie. Le train traverse de maigres forêts de bouleaux. Autour de moi, les russes ont leurs habitudes. Ils sont en pantoufles, vaquent à leurs occupations entre deux tasses de thé. Certains lisent, d’autres discutent. Le train s’arrête régulièrement. Tout le monde, ou presque, descend alors se dégourdir les jambes, acheter du ravitaillement auprès des marchands ambulants et petites échoppes qui peuplent les gares.
Je ne le sais pas encore à ce moment-là, mais ma vie est en train de basculer. Je vais continuer mon trajet en train jusqu’à Pékin, marchant sur le Baïkal gelé, partageant la yourte de familles mongoles, puis explorer la capitale chinoise. Je vais prendre goût au voyage et découvrir un appétit insatiable pour les paysages et cultures qui peuplent notre planète. Je vais prendre goût à la photographie, apprivoisant au passage mon premier reflex numérique, acheté pour l’occasion. Je vais prendre goût au fait de raconter mes voyages sur un blog.

Au bord du lac Baïkal, Russie.
Autour du monde
Des itinéraires de tour du monde, je vais en imaginer des dizaines, rêvant devant un globe, une carte ou google maps. Pourtant, je n’en ferai jamais (en tout cas, je ne l’ai toujours pas fait !). À la place, j’enchaîne les voyages. Chaque week-end prolongé est l’occasion de découvrir des villes accessibles en train de nuit ou en bus depuis Paris : Florence, Barcelone, Venise, Munich, Cologne, Londres, etc. Et puis sur mes congés, je pars plus loin : Laos, Inde, Balkans, USA, Mali,...
J’aime la liberté prodiguée par ces voyages. Débarquer quelque part sans itinéraire, improviser sur place.
Le voyage m’a donné confiance en moi
Ou en tout cas, m’a appris que j’étais capable de me débrouiller toute seule.
Au fil des années, je me suis enhardie. J’ai appris quels comportements adopter dans quelles situations. J’ai appris à être méfiante, mais aussi, surtout, à faire confiance. Faire confiance aux autres, et à mon instinct.
Certes, ça n’a pas toujours été parfait. Parfois, j’ai maudit mes choix. Mais je n’ai jamais regretté un voyage. Chaque problème a toujours une solution. Et les meilleurs souvenirs naissent de situations imprévues.
J’ai traversé les États-Unis en train et l’Islande en vélo. J’ai fait des treks en autonomie. J’ai dormi dans des lieux improbables, à la belle étoile dans le désert, sous une tente en pleine tempête de neige, dans des bus, des trains, par terre dans des aéroports, ou dans des beaux hôtels, aussi. J’ai rencontré des milliers de gens un peu partout. Je peux l’affirmer sans aucun doute : il y a du bon chez la plupart des humains*, et le monde est beau. (On dirait un poster inspirationnel pour WC, tiens.)
*enfin, surtout chez les humains qui ne portent pas de cravate
10 ans de voyages, 10 ans de souvenirs
Voyager pendant 10 ans, c’est accumuler des souvenirs. Des bons, des mauvais, des drôles, des tristes. Mais s’il y a une chose que j’ai retenue, c’est que les voyages qui marquent le plus ne sont pas forcément ceux auxquels on pense, et les meilleures anecdotes sont parfois (souvent ?) celles où rien ne va !
J’ai dormi dans l’hôtel le plus pourri de New York
C’est l’histoire d’un malentendu. Une copine qui me donne une adresse à Brooklyn : une auberge de jeunesse pas chère mais sympa. À cette époque-là, je passe un mois aux Etats-Unis, à traverser le pays en train. Il pleut des cordes quand j’arrive à New York. Mon appareil photo a pris l’eau plus tôt dans la journée. Il fait déjà nuit. Je n’ai qu’une envie, m’allonger dans un lit chaud. Et forcément, rien ne va se passer comme prévu.
Avec mon compagnon de voyage, nous arrivons devant l’auberge. J’explique avoir une réservation, l’une des filles de l’accueil me donne une clef. Nous montons à l’étage, trouvons la porte, et au moment où j’ouvre la porte, je découvre une poubelle éventrée dans le milieu de la pièce, et des draps déjà utilisés sur des lits défaits.
Retour à l’accueil. Nouvelle clef. Je remonte à l’étage. J’ouvre la porte. Ce coup-ci, la chambre ne contient qu’un seul lit simple dans une minuscule pièce.
On recommence. Les filles de l’accueil ne cachent pas leur exaspération. Et moi, j’ai du mal à garder mon calme. C’est pas elles qui se cognent les escaliers à chaque fois, avec le sac sur le dos, pour trouver des chambres qui ne correspondent pas !
On finit par obtenir une chambre. Minuscule. Deux lits superposés et à peine la place de se tenir debout à côté. Des déchets traînent un peu partout, à l’image du sol de la salle de bain commune, jonché de mégots. Qu’est-ce qu’on fout là ?
Quelqu’un frappe à la porte. J’ouvre. Ce sont mes voisines de chambre. Darling, are you okay ? Elles proposent de nous prêter un poste de radio, pour qu’on puisse s’occuper, ce soir. Je décline gentiment, touchée par l’attention. D’autres voisins de l’étage sont sortis de leur chambre, eux aussi. Je souris, on échange quelques mots. Ce ne sont pas des touristes. Leurs vies sont gravées sur leurs visages fatiguées, leurs mains abîmées. Pourtant, à cet instant précis, ce sont eux qui se font du soucis pour moi.
J’ai rejoins Belgrade en bus, sans billet retour
La première fois que je suis partie sans billet de retour, c’était pour Belgrade. Je m’en souviens comme si c’était hier.
J’avais décidée de rejoindre la Serbie en bus. Je suis arrivée en avance à la gare routière. Il restait quelques banquettes vides, mais le chauffeur m’a imposé de m’asseoir à côté d’une vieille dame. Il ne parlait pas un mot de français, et faisait trois têtes et quelques kilos de plus que moi. Je n’ai pas insisté. Les bonnes places, avec une fenêtre et pas de voisin, il les gardait pour ses copains. Oh, elle était gentille ma voisine. Mais entre sa surcharge pondérale et les sacs qu’elle tenait à garder à côté d’elle, je n’avais guère de place que pour une fesse sur mon siège. Et ça, ça a duré 25h.
Le bus faisait des arrêts réguliers. Les femmes venaient me parler. Tu vas à Belgrade ? Pourquoi ? J’expliquais alors ma curiosité pour cette région, que j’étais déjà venue en Slovénie, en Croatie, que j’avais envie de découvrir le reste. Tu vas aller où ? Je pensais rejoindre Sarajevo en train, puis continuer jusqu’à ce que... Mon fils est enterré à Sarajevo. Cette phrase me glaçait le sang. Je l’ai entendue plusieurs fois, durant ce voyage. Elles annonçaient cela comme elles auraient dit demain, la météo annonce de la pluie à Sarajevo.
J’ai rejoins Sarajevo, puis Mostar. Les immeubles criblés d’impacts, les ruines. Je me suis efforcée de chercher le beau. Le centre historique de Sarajevo, les montagnes de Bosnie. Les sourires partout. Il est difficile de mettre des mots sur ce que j’ai ressenti là-bas. Ces regards, si chaleureux, et pourtant teintés de tristesse, ces discussions où, à chaque fois, il était question de quelqu’un décédé. Les jeunes de mon âge ont tous connu la guerre. Tous ont perdu quelqu’un, et tous voulaient tourner la page. Ils n’avaient qu’une envie, me dire combien leur pays est beau, leur culture est riche. Et sans que je puisse me l’expliquer, je me suis sentie bien à Sarajevo. J’ai profondément aimé cette ville.
J’ai pris le train avec des contrebandiers mongols
Il existe plusieurs versions du fameux transsibérien. Il y a celui qui traverse toute la Russie pour rejoindre Vladivostok. Et puis il y a deux variantes qui vont de Moscou à Pékin : le transmongol qui traverse la Mongolie, et le transmandchourien qui traverse la Mandchourie. Moi, je voulais voir les steppes et les yourtes.
Après une escale au bord du lac Baïkal, je poursuis mon voyage en train vers la Mongolie. Sur ce trajet, plus de troisième classe avec un grand dortoir, mais uniquement deux classes avec des cabines. J’ai choisi la deuxième classe, deux paires de lits superposés. Lorsque je rentre dans la mienne, je découvre qu’il y a déjà des cartons sous le lit et ils n’appartiennent pas à mon unique compagnon de voyage.
Le wagon n’est pas très rempli, mais les allées et venues dans le couloirs sont incessantes, des mongoles transportent des caisses d’une cabine à l’autre. L’ambiance me semble un peu étrange. Les contrôleuses paraissent préoccupées. Les toilettes pour femmes sont fermées à clef, et lorsque j’aperçois l’intérieur rempli de cartons, l’employée de chemins de fer s’empresse de claquer la porte.
Nous arrivons à la frontière russe. Je commence à avoir un peu peur. Il y a quoi, dans ce carton, sous ma couchette ? J’essaie de le bouger, du bout du pied, mais il est très lourd. Et si c’était des armes, ou de la drogue ? J’ai pas envie de finir ma vie dans une prison russe ! Le malabar de la douane pénètre dans la cabine. Une chaussure sur chaque couchette, il se hisse pour inspecter les lits superposés. Je lui dis bonjour, il ne m’adresse pas un regard. Il cherche quelque chose. Je suis pétrifiée.
Derrière le colosse en treillis, se trouve une homme plus petit, en costume. Il a des papiers à la main, et semble en charge de l’inspection. J’essaie de m’adresser à lui, lui expliquer hé, y’a un carton là, mais c’est pas à moi et je ne sais pas ce que c’est. Il m’ignore vaguement. Et personne ne regarde ce carton non identifié sans propriétaire. Ok.
Soulagée mais étonnée de cette inspection, je souffle un peu, sans réellement comprendre ce qui vient de se passer. Quelques minutes plus tard, le train de remet en marche, pour s’arrêter devant la douane mongole. Ici, pas de colosse, mais des douaniers qui viennent très vite nous expliquer la situation. Les employées des chemins de fer sont de mèche avec des contrebandiers. Ils s’apprêtaient à faire entrer des choses illégalement en Mongolie. Tous ces cartons, sont en fait leurs marchandises de contrebande : des fruits, de la vaisselle. Et le carton mystérieux sous ma couchette ? Des draps. Pas très ambitieux, ces contrebandiers ! Nous finirons le trajets accompagnés par des policiers et douaniers mongoles, très gentils.
J’ai failli mourir en Roumanie
J’avais décidé d’aller explorer le nord de la Roumanie en vélo. J’ai glissé mon vélo pliable dans un avion pour Budapest (qui n’est pas la capitale de la Roumanie, mais est plus proche de la région qui m’intéressait), pris un train, et me suis retrouvée dans la région rurale de Maramures. C’était beau. Vallonné mais beau. J’ai pédalé plusieurs jours, explorant les petites routes au gré de mes envies, sans itinéraire. J’ai rencontré des dizaines de roumains tous plus adorables les uns que les autres.
Puis est venu le jour du retour. Je devais prendre le train tôt le matin pour retourner à Budapest. J’ai tiré la porte de l’hôtel, doucement, pour ne réveiller personne. J’ai enfourché le vélo, direction la gare. Le soleil n’était pas encore tout à fait levé, mais il faisait assez clair pour voir le chemin. Les rues étaient désertes. Je roulais tranquillement. J’étais de bonne humeur, contente de mon voyage. Quelques chiens dormaient en boule sur la route. Et c’est là, que j’ai eu la peur de ma vie.
J’ai fait un écart, pour passer assez loin du chien. Mais j’ai bien vu la truffe se relever, aussitôt. En l’espace de quelques secondes, j’étais suivie par une dizaine de chiens. Ils grognaient, et aboyaient derrière moi. Ce n’était pas un jeu pour eux. Leur agressivité ne faisait aucun doute. J’ai pédalé le plus vite que j’ai plu. J’ai crié, tant pour avoir l’air autoritaire vis à vis des chiens, que pour espérer réveiller quelqu’un qui viendrait m’aider. (Tu parles, que dalle.)
Je me concentrais pour pédaler le plus vite possible, sans tomber. La meute était à quelques mètres derrière moi. Je commençais à les distancer, mais une chute, et c’était fini. J’avais l’impression que plus j’avançais, plus nombreux ils étaient. Ceux des rues adjacentes arrivaient, alertés par les aboiements. Je ne savais pas comment m’en sortir, à part être plus rapide, et plus endurante. Et puis enfin, j’ai aperçu la gare, au loin. Il y aurait du monde. Et quelques mètres avant, les chiens ont disparu. Tous. Je me suis écroulée sur une chaise (ou peut-être était-ce par terre, j’ai pas vraiment un souvenir précis de ce moment...). Mon cœur transperçait ma poitrine à chaque battement. J’étais proche du malaise mais j’étais en vie. Les autres passagers m’ont regardée, interloqués et indifférents. Nous sommes montés dans le train, et je me suis jurée de ne jamais refaire de vélo en Roumanie.
Trois semaines plus tard, un homme est mort dévoré par des chiens, dans une région voisine.
Je suis devenue une maman voyageuse
Fin 2014, Petite Oreille est rentrée dans ma vie. Elle n’a pas bousculé mes envie de voyage, mais ma façon de voyager. Avec elle, je prends le temps. Je savoure chaque instant. J’apprends à ne rien faire, à la regarder jouer avec d’autres enfants. Je redécouvre ma planète avec ses yeux d’enfants. Des yeux d’enfants qui n’ont que faire de l’exotisme d’une destination. Elle s’amuse autant à marcher en forêt ou à faire du canoë chez ses grands-parents, que sur une île paradisiaque en Asie.
Elle aime crapahuter, explorer, rencontrer des gens. Partager ces moments avec elle, la voir s’épanouir et grandir au fil des voyage, est à la fois un luxe et un plaisir. C’est un luxe, parce que j’ai du temps pour ma fille, du temps rien qu’avec elle.
J’essaie de cultiver son ouverture sur le monde, d’attiser sa curiosité. Le monde qui l’entoure la passionne. Selon les semaines, elle veut être herpétologue, exploratrice, astronaute, sauver la planète ou protéger les singes, les baleines ou les éléphants. Je ne sais pas si je fais bien mon job de maman, mais je suis sure d’une chose, mes plus beaux souvenirs de voyage sont avec elles. Ceux qui mettent une boule de joie dans la gorge rien qu’en y repensant.
Le monde du voyage a changé
Je ne veux pas devenir cette vieille aigrie qui raconte avoir connu les belles années. La Thaïlande dans les années 70, c’était la belle époque. Non, c’était pas mieux avant, ça a changé, c’est tout.
L’arrivée des smartphones
Certes, je trouve triste ces gens collés sur leurs smartphones alors qu’ils sont à l’autre bout du monde. Mais après tout, s’ils préfèrent regarder leurs écrans, tant pis pour eux. Le smartphone a révolutionné la façon de voyager de million de gens, et c’est tant mieux.
Lorsque j’ai commencé à voyager, j’envoyais un texto par semaine, au mieux, pour rassurer ma mère, et le téléphone restait éteint le reste du temps, pour être sûre d’éviter tout dépassement de forfait. C’était une déconnexion complète, bien avant de parler de détox numérique. Aujourd’hui, couper son portable est presque un acte militant. Mais, si je m’efforce de ne pas toucher à mon smartphone dans la journée, je suis toutefois heureuse d’accéder à internet partout.
Réserver un hôtel
Je me souviens d’un soir dans le sud du Laos. Je venais d’arriver à Paksé, ville où se croisent ceux qui arrivent du nord, ceux qui repartent vers la Thaïlande, ceux qui descendent vers les 4000 îles. Ce n’était pas une très belle ville. J’avais mon guide du routard à la main. Ou peut-être était-ce un Lonely. Je suis allée à la première adresse conseillée : complète. La deuxième : complète également.
J’ai rangé le guide. Tant pis pour l’adresse de charme, il me faudrait écumer les guest-houses de la ville. Nous étions plusieurs à arpenter les rues ainsi. C’est complet là ? Ah mince. Et dans cette rue, là ? Tous des jeunes dans la vingtaine, sac au dos, pantalon babacool et T‑shirt à la propreté douteuse. Nous venions d’Australie, d’Allemagne ou des Etats-Unis, mais nous nous ressemblions tous, dans le fond.
À 22h, il a fallu se rendre à l’évidence. Il restait un dortoir à partager, une chambre sans fenêtre avec un matelas par terre et un hôtel de luxe. Enfin, d’un luxe relatif, mais dont la chambre était propre et la climatisation fonctionnelle, pour un tarif bien supérieur aux autres hôtels. J’ai choisi cette option-là, tant pis.
Aujourd’hui, ce genre de problématique ne se pose plus : avec un smartphone et une connexion internet, on réserve son hôtel la vieille ou le jour même, en quelques minutes. On connaît le prix mais aussi les prestations. C’est le règne des Booking, Agoda, et autre Tripadvisor. C’est un gain de temps et un confort extraordinaire.
Lors de mon voyage d’un mois au Sri Lanka avec ma fille, je consacrais un peu de temps à rechercher les bons hébergements. J’essayais de trier pour trouver les perles rares, d’aller outre des commentaires négatifs, de ne pas prendre simplement le moins ou le mieux noté. Et je n’ai pas été déçue.
Ne plus jamais se perdre
Enfin ne presque plus jamais se perdre, parce qu’heureusement, il reste encore quelques sentiers inconnus de GoogleMaps. Mais aujourd’hui, on trouve directement son hôtel sans tourner en rond en essayant de comprendre le plan du Routard. Et si on promène au hasard, on sait toujours comment rentrer. Aucun tuk-tuk ne peut plus gonfler les prix en disant que c’est very far, le smartphone indique les durées et distances avant même le début de la négociation.
Est-ce une bonne chose, de ne jamais se perdre ?
C’est confortable d’aller directement au bon endroit, de ne pas louper l’arrêt du bus, de trouver la gare du premier coup. Mais se perdre fait, selon moi, partie intégrante du charme du voyage. Parce que quand on est perdu, tout peut arriver. L’imprévu prend le pas sur la liste des choses à voir, et les découvertes n’en sont que plus agréables. Quand on ne sait pas où on va, on ne peut être que surpris.
Je me souviens de ce jour où nous nous sommes perdus à Pushkar.
Je passais quelques semaines en Inde avec des amis. Nous visitions le Rajasthan. Pushkar était, à l’époque, un petit village plein de charme. Nous avions envie d’aller voir quelques temples, dans les environs. Le Guide du Routard expliquait vaguement comment y aller. Prendre telle sortie, suivre telle route, tourner à tel endroit. Simple.
On est partis de bon matin. Et on n’a jamais trouvé les temples. Mais on a passé l’une des meilleures journées de tout le voyage. Même si on était perdus. Même si on roulait sur des sentiers faits de boue et de sable, totalement impraticables. Même si on n’avait pas de carte précise, et encore moins de GPS ou de smartphone pour retrouver notre chemin.
Le hasard nous a mené à une petite colline où les habitants des environs venaient pour pique-niquer, jouer au cricket, ou s’amuser. Un espace aménagé permettait de se baigner dans la rivière. Il n’y avait rien de touristique, ici. Seulement des indiens qui profitaient d’un jour de repos. Alors très vite, quelques uns sont venus autour de nous, pour échanger quelques mots. Nous n’en avions plus rien à faire des temples. Cet endroit était bien plus vivant !
Impossible à planifier. Nous ne serions jamais venus là de nous-mêmes. Nous n’aurions probablement jamais eu l’idée de chercher un tel endroit. Alors je voudrais aller à l’endroit où les indiens vont quand ils veulent pique-niquer en famille. Non, ça ne marche pas comme ça.

Pushkar, Inde, 2010.

Pushkar, Inde, 2010.

Pushkar, Inde, 2010.
Si ces instants ne s’organisent pas, ils peuvent se faciliter. C’est ce qu’on apprend au fil du temps, en voyageant : provoquer l’imprévu. Chercher le chemin de traverse, accepter de se perdre. Peut-être qu’il n’y aura rien au bout du chemin. Mais peut-être qu’il y aura une belle rencontre.
Saisir les opportunités. Si on vous invite à boire le thé, allez‑y. Si on veut vous montrer un beau paysage, un peu plus loin, suivez. Si on s’intéresse à vous, intéressez-vous à votre interlocuteur. Le sel du voyage se situe là, dans ces moments.
Appeler la famille
Aujourd’hui, ça parait normal de faire un appel vidéo sur whatsapp pour raconter à sa mère comment s’est passé la journée. Ce qui vaut à ma mère de mourir d’inquiétude si jamais, ô grand malheur, je ne le fais pas.
Il y a 10 ans, j’envoyais un texto de temps en temps, au mieux, et ça coûtait une fortune. (Non, je ne suis pas assez vieille pour avoir connu l’époque Poste Restante). Pouvoir tenir tout le monde informés est une petite révolution. Ça empêche sans doute, parfois, de lâcher totalement prise, mais c’est si agréable ne garder le contact...
L’arrivée des réseaux sociaux
De tous temps, les voyageurs ont cherché les beaux paysages, et pris des autoportraits. Ce qui a changé, c’est le moment du partage, et le type de photos qu’on partage. On n’attend plus le retour pour projeter 50 diapos, ou montrer un album photos. On poste en direct des photos instantanément likées par des amis ou de vagues connaissances. On ne cherche plus la rencontre, l’inattendu, on enchaîne les spots instagrammables dans lesquels on se met en scène.
Je plaide coupable. Je le fais aussi. Enfin, pas le selfie. Je me contente de m’utiliser moi-même comme petite silhouette, quand je veux de l’humain dans la photo. Pire, j’organise des voyages photo, dont le but est justement de mener les gens dans les plus beaux lieux d’un pays ou d’une région.
J’en suis actrice, mais cette situation m’attriste. Je ne peux m’empêcher de trouver étrange cette attitude qui consiste à ne s’intéresser qu’à ce qui fera du like sur instagram, sans parler de se besoin d’être sur toutes ses photos. Ainsi, les balançoires ont fleuri sur toutes les plages d’Asie. Au coucher du soleil, les millenials feront la queue pour leur photo souvenir, légendée avec des emojis pour exprimer combien c’est vraiment trop un truc de malade.
Je ne veux pas de ce monde uniforme. Car c’est bien là le danger de cette tyranie du like. Sois instagramable or die. Il faut attirer des clients. Les clients veulent des endroits où se prendre en photo. Mais seules les photos répondant aux critères dictés par instagram seront susceptibles d’être likées. Alors il faut rendre les lieux instagramables.
La fin d’un chapitre
J’écris cet article avec une certaine nostalgie, mais aucun regret. J’ai aimé ma vie des 10 dernières années. J’ai aimé voir le monde, et je continue d’avoir envie de le découvrir. Pourtant, je ne peux m’empêcher d’avoir l’impression, qu’une page de ma vie est en train de se tourner. Ces dernières années, j’ai réduit considérablement mes voyages et je n’aspire plus à une vie faite d’avions à répétition.
Aujourd’hui, j’ai envie de voyages lents, longs. Des voyages où on prend le temps. Des voyages où on va à la rencontre de l’Autre.
Je ne veux plus binge voyager.
15 commentaires
C’est un très beau récit et tu en as vécu des aventures ! L’anecdote en Roumanie avec les chiens qui te courraient après m’a fait froid dans le dos ! Tu as raison, les smartphones ont considérablement changé notre façon de voyager. Je me rappelle encore quand j’étais à l’étranger et j’essayais de regarder discrètement le petit plan du lonely planet parce que je ne voulais pas qu’on remarque que j’étais une touriste perdue ! Maintenant, j’utilise Google Maps ou Maps.me partout. Mais ça ne m’empêche pas de réussir à me perdre encore parfois 😛 Comme toi, je suis triste de voir comment Instagram a changé la façon de voyager des gens. On voit clairement que beaucoup de personnes se rendent sur un lieu simplement pour faire leur photo et la publier. Ils ne prennent même pas le temps d’observer ce qu’il se passe autour d’eux, trop occupés à faire la course aux likes. On surconsomme le voyage pour les mauvaises raisons. C’est désolant 🙁
Très chouette article Aurélie ! J’ai pris peur en lisant ton passage avec les chiens en Roumanie ahah. Je me suis retrouvée dans tes histoires russes avec la douane effrayante (j’en ai aussi des histoires sur ce sujet tiens). Je me retrouve beaucoup dans ton passage sur le besoin d’être sur ces photos sur Insta, je trouve ça dommage aussi. Bref, 10 belles années 😀
A bientôt !
Très beau retour sur 10 ans de voyages et de découvertes ! Voyage plus lentement, c’est aussi ce à quoi j’aspire parfois, j’alterne en général, mais ces moments ressourcent, font terriblement du bien !
Pour les chiens, j’ai eu la même chose en Crète mais avec la voiture ce qui permet au moins de ne pas se faire mordre, mais je ne pouvais plus trop avancer, ils aboyaient après les pneus avant et avaient la tête à 2 cm de la roue ...
Très bel article, et beau regard en arrière.
Les débuts donnent envie, et il ne faut pas être trop dur avec la fin : comme dit : ça n’était pas mieux avant, ça a juste changé 😉
Serait-ce le bilan du renouvellement du passeport (j’ai aussi un bilan de 10 ans de voyage sur mon blog, mais je suis plus vieille que toi donc, il date un peu) ?
Si j’ai finalement décidé d’avoir un smartphone l’automne dernier, pour le moment je résiste toujours à l’utilisation intensive de google maps et du contact permanent avec la famille.
Je me perds, tout le temps, je n’ai quasiment pas de sens de l’orientation. Par contre je lis très bien les cartes papiers. Du coup je continue ainsi pour mon plus grand plaisir.
Et je sais que pour profiter d’un lieu, j’ai besoin de ne pas avoir mon esprit accaparé par les proches. On me le reproche, mais pas ma famille. Ainsi quand je voyage avec certaines copines elle me demande comment va mon amoureux. En général je n’en ai aucune idée et ça nous va très bien à tous les deux.
Le monde change, à nous de choisir ce que l’on veut faire avec pour en tirer le meilleur.
Je vous suis depuis vos débuts discrètement et j ai aussi vu votre évolution autant dans votre carrière que dans vos choix de voyage. J ai toujours eu beaucoup de plaisir à vous lire et admirer vos photos tout ça pour vous dire que cette évolution n est pas monotone même j ai adoré ces voyages plus lent grace à votre petite oreille .
Pour moi qui ne voyage pas, c est 10 ans avec vous m ont fait m évader. Un petit détail je vous connaît depuis vos 12 ans au bord de la sèvre niortaise
Continuez à nous faire rêver . Amicalement
Pour moi qui est eu l’occasion de voyager sans téléphone (parce que je l’avais perdu héhé), je le recommande. Se déconnecter pour se reconnecter avec les autres, avec soi. Il y a déjà 11 ans, j’étais en Australie et il fallait aller au Mac Do pour capter un peu de Wifi, on s’envoyait encore de longs mails pour se donner des nouvelles. L’instantané ne m’intéresse plus.
Superbe récit ! Je partage entièrement le constat alarmant sur l’égocentrisme ambiant dans nos sociétés. Beaucoup de Narcisse en devenir...
D’accord avec toi, les voyages sont souvent nos plus beaux souvenirs. J’aime bien tes anecdotes ! En passant, j’ai moi aussi dormis dans un hôtel pourri de New-York, j’aurais été curieux de voir une photo de ta chambre dans cet hôtel. En effet, rien de mieux que de voir le monde au travers de ces yeux au lieu d’au travers un smartphone.
J’ai quand même réussi à me perdre dans la Médina de Marrakech 😉 !
Voilà donc presque 10 ans que je suis tes aventures. Et c’est vrai, ce qu’on retient de nos voyages, ce sont les gens qu’on a rencontrés, avant tout.
Merci de me suivre depuis si longtemps 😉
J’imagine la médina comme un véritable dédales de ruelles, donc je ne vais pas te jeter la pierre !
Je viens de découvrir votre blog .... absolument magnifique... vous m avez fait voyager par vos textes et photos plus belles les unes que les autres ... voyager , un peu partout au gré du vent , mon rêve ...mais la réalité étant présente , je ne voyage qu au coin de ma rue et des petits villages de ma région que j adore ( les hauts de France ) je prends des modestes clichés , qui sont loin derrière vos talents mais je voyage à ma manière , peut être un jour aller plus loin ..... merci de me faire rever , voyager ... Et me permettre de apprendre ! Séverine
Je suis ton blog depuis un certain temps. Certainement un des plus interessant du point de vu des photos/ petits films artistiques, avec des commentairs toujours bien sentis et des infos intéressantes. On est uniquement pas dans le simple cliché du instagramer qui ne fait que la pub d’hôtels et de prestations qu’il s’est fait offrir ! On se rend aussi compte que depuis que « petite oreille » se balade avec toi, cela semble faciliter les contacts, relations humaines et donc.... la qualité de tes photos.... (plus de moments intimes avec les locaux).... Je tente aussi de faire vivre mes voyages sur la toile via mon blog photos « jf38.blogspot.com » mais sans prétention aucune par rapport à la qualité de tes derniers posts.
Oui, elle est clairement mon meilleur atout 😉
Whoa, super récit ! bravo pour ton voyages .. dix ans, il est même difficile de condenser toutes tes expériences, tu as tellement apprendre avec ça. J’ai adoré les photos dans le post, elles sont très belles aussi – mais celle de Madagascar, pour moi, est la plus belle. J’ai adoré que dans votre texte vous évoquez l’arrivée des smartphones et des réseaux sociaux, c’est quelque chose de tellement présent aujourd’hui qu’il a dû être très intéressant de suivre cette transition, depuis quand il est devenue populaire. Super !