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Portrait : Gilles, pêcheur à Saint-Pierre et Miquelon

par Madame Oreille
portrait de Gilles Poirier, pêcheur à Saint Pierre et Miquelon

Ren­contre à Saint-Pierre et Mique­lon avec Gilles, pêcheur et « gar­dien » du patri­moine local.

Ce matin, j’ai ren­dez-vous au port. Je dois ren­con­trer Gilles et son frère, Sté­phane. Ils rentrent tous les deux de la pêche.

Le soleil n’est pas encore levé quand je tra­verse le centre-ville désert de Saint-Pierre. Il pleut des cordes. L’eau ruis­selle sur mon imper­méable. Je dois retrou­ver Gilles et Sté­phane au port. J’ai un nom de bateau, le Cap Per­cé, et un horaire approxi­ma­tif, 5h du matin. Les deux frères doivent ren­trer après deux nuits en mer, à pêcher.

Me voi­ci donc, à errer dans le port, sous des trombes d’eau, de nuit. Je cherche le Cap Per­cé. Il n’y a pas un chat sur les quais. Et pas un bateau non plus. Je com­mence à déses­pé­rer quand je repère les deux phares d’une voi­ture qui approche. Le conduc­teur ouvre sa fenêtre. Je m’approche. Ce pour­rait être le début d’un film d’horreur où je finis décou­pée en mor­ceaux, à ser­vir d’appât aux pois­sons dans le Golfe du Saint-Laurent. Mais comme nous sommes à Saint-Pierre et Mique­lon, tout se passe dif­fé­rem­ment : j’explique que je cherche le bateau de Gilles et Sté­phane et le conduc­teur me répond « oh ben vas‑y, grimpe, je t’emmène, tu vas pas y aller sous la pluie ! »

C’est ain­si que je retrouve Gilles et Sté­phane, les frères Poi­rier, qui viennent de ren­trer au port avec 10 tonnes de concombres de mer. Leur bateau va res­ter amar­ré à côté de la conser­ve­rie, quelques heures, le temps de vider le chargement. 

Le chalutier dans le port de Saint-Pierre

On com­mence à dis­cu­ter. La pluie s’est cal­mée et le jour com­mence peu à peu à se lever, dévoi­lant Saint-Pierre, englou­tie dans la brume. Gilles arbore fiè­re­ment une cas­quette aux cou­leurs de ses ori­gines aca­diennes. C’est d’ailleurs notre pre­mier sujet de dis­cus­sion. D’où je viens. Quel est mon nom de famille. Ça tombe plu­tôt bien, les noms de mes grands-pères, bre­ton et poi­te­vin, sont assez répan­dus en Aca­die. On enchaîne sur leur nom à eux. Je leur dis qu’ef­fec­ti­ve­ment, il est assez cou­rant dans l’Ouest de la métro­pole, et que mon voi­sin, lui aus­si, porte un nom d’arbre frui­tier. Gilles sou­rit. Il se pas­sionne pour la généa­lo­gie et l’his­toire des acadiens.

Gilles et son frère, deux pécheurs, à bord de leur bateau

Les aca­diens sont les des­cen­dants de familles par­ties prin­ci­pa­le­ment de l’Ouest de la France pour colo­ni­ser l’A­mé­rique du Nord au 17ème siècle. On trouve de grosses com­mu­nau­tés aca­diennes au Nou­veau-Bruns­wick ou en Nou­velle-Ecosse, mal­gré les dépor­ta­tions qu’elles ont subies au milieu du 18ème siècle. Chas­sés du Cana­da deve­nu bri­tan­nique, cer­tains aca­diens ont trou­vé refuge à Saint-Pierre et Mique­lon, seule colo­nie d’A­mé­rique du Nord res­tée fran­çaise. La plu­part des habi­tants de l’ar­chi­pel, aujourd’­hui, sont des des­cen­dants de marins bre­tons, basques ou nor­mands, mais les aca­diens conti­nuent d’y tenir une bonne place.

le phare de saint-pierre
Pêcheur à bord de son bateau

Gilles me raconte son enfance et celle de son frère dans l’ar­chi­pel et com­ment l’o­céan ryth­mait déjà leur vie. Petits, quand arri­vait le jour de la pêche au cape­lan, il n’é­tait pas rare que leur mère vienne inter­rompre la classe. Gilles et son frère pro­met­taient à l’ins­ti­tu­teur qu’ils feraient leurs devoirs puis filaient rejoindre le reste de la famille. Tout le monde embar­quait alors joyeu­se­ment dans les bateaux. Les yeux de Gilles pétillent à l’é­vo­ca­tion de ces souvenirs.

Chalutier à Saint-Pierre et Miquelon
Pêche au concombre de mer à Saint-Pierre

Autour de nous, quelques hommes s’af­fairent. La méca­nique est rodée, cha­cun connaît sa par­ti­tion. La cale du Cap Per­cé est pleine de concombres de mer. L’un des hommes des­cend dedans. Un tuyau per­met d’as­pi­rer les concombres pour les trans­fé­rer direc­te­ment de la cale à la boîte de trans­port qui les mène­ra dans la conser­ve­rie. Réduits en poudre, les concombres seront ven­dus en Chine, pour leurs sup­po­sées ver­tus aphrodisiaques.

Pêcheur en train de récolter les concombre dans la cale du chalutier

Gilles regarde ses col­lègues rem­plir les boîtes. Tout s’en­chaîne rapi­de­ment. La cale du Cap Per­cé est vidée en un rien de temps. Gilles me lance alors, sur un air mali­cieux « t’as vu les doris ? »

Ville de Saint-Pierre dans la brume
Pêcheurs sur le quai, au port
Le chalutier rejoint le port à Saint-Pierre et Miquelon

Gilles, en marin pas­sion­né, est par­ti­cu­liè­re­ment fier du patri­moine local. Et le doris en fait par­tie inté­grante. C’est sur cette petite embar­ca­tion que sa famille par­tait pêcher. Une embar­ca­tion en bois, à fond plat, conçue pour glis­ser faci­le­ment sur le sable ou les galets de la plage.

Les Zigotos discutent autour d'un doris

En fin de jour­née, Gilles m’at­tend devant la saline n°20. Il n’est pas seul. Ces han­gars colo­rés sont le lieu de ren­dez-vous des amou­reux du doris, les « Zigotos ». 

L’as­so­cia­tion compte 80 adhé­rents. Et les soirs d’é­té, ils se retrouvent ici, devant les salines, face à la mer. Cer­tains viennent ramer, d’autres papo­ter. Gilles me montre les lignes et leurres pour la pêche, qu’ils uti­lisent encore, de temps en temps, pour le plai­sir. Il me raconte l’im­por­tance qu’a pris l’as­so­cia­tion, com­ment ils res­taurent des vieux doris et en fabriquent de nou­veaux, com­ment ils essaient de trans­mettre ce patri­moine aux plus jeunes. À la grande époque de la pêche à la morue, on comp­tait plus de 500 doris à Saint-Pierre et Mique­lon. Il me raconte aus­si les courses folles jus­qu’aux autres îles de l’ar­chi­pel ou jus­qu’à Terre-Neuve.

Les salines colorées de Saint-Pierre et Miquelon

Pen­dant que Gilles me parle, un petit groupe met un doris à l’eau. Je regarde une ado, petite der­nière d’une lignée de pêcheurs, qui parade devant ses copines : aujourd’­hui, elle va tenir la barre pour la pre­mière fois, et c’est une grande fierté. 

Les rameurs s’é­lancent. La mer est par­faite ce soir. Pas une vague ! L’air est doux. Le soleil caresse les visages. Ils essaient de se syn­chro­ni­ser. Ce n’est pas un exer­cice aisé, mais tout le monde sou­rit. C’est la fin de l’é­té, et pro­ba­ble­ment l’une de leurs der­nières sor­ties en mer avant le prin­temps suivant.

Un doris dans le port de Saint-Pierre

Explorez Saint-Pierre & Miquelon

Retrou­vez le récit de mon voyage
dans l’ar­ticle consa­cré à l’ar­chi­pel !

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