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Portrait : Hervé, spécialiste de la glande active

par Madame Oreille

Une jour­née avec Her­vé autour du Grand Site de France Solu­tré Pouilly Vergisson.

« Vous allez ren­con­trer Her­vé ? C’est lui qui [...] »
Après plu­sieurs jours à sillon­ner le Grand Site de France Solu­tré Pouilly Ver­gis­son, j’en arri­vais à une conclu­sion : tout le monde connais­sait Her­vé. Et, plus éton­nant encore, tout le monde connais­sait Her­vé pour une rai­son dif­fé­rente. Il avait for­mé une telle, tra­vaillé avec tel autre, col­la­bo­ré sur tel ou tel pro­jet. Bref, il sem­blait être par­tout. Mais qui pou­vait bien être ce mys­té­rieux personnage ?

Je retrouve Her­vé sur un par­king, au petit matin. Barbe courte et pana­ma. L’homme aux mul­tiples cas­quettes ne se sépare jamais de son cha­peau. Nous n’a­vons ni pro­gramme ni impé­ra­tif, et toute la jour­née devant nous. Her­vé me demande ce que je veux voir. Je lui réponds « Tes coins pré­fé­rés ? » et c’est ain­si que nous pre­nons la direc­tion de la Grange du Bois.

Il y a là un che­min de ran­don­née bor­dé d’arbres. Nous nous y enga­geons. Des yeux nous suivent tan­dis qu’on passe sous une énorme chaîne fabri­quée entiè­re­ment en bois. Un col­lec­tif d’ar­tistes a pris pos­ses­sion des lieux pour y intro­duire des œuvres de land art éphé­mères le long du passage.

Her­vé me parle de Tro­lo­lo, qui a don­né son nom à cette balade. Un gar­çon de ferme qui venait s’as­seoir sous ces arbres pour sur­veiller son trou­peau. La Grange du Bois se situe en effet sur la par­tie Ouest du Grand Site de France de Solu­tré Pouillé Ver­gis­son, et, ici, s’o­père un chan­ge­ment de pay­sage : le sol cal­caire laisse place au grès, et le bocage rem­place les vignes. (Et le hameau de la Grange du Bois a, de plus, la par­ti­cu­la­ri­té d’être à che­val entre deux dépar­te­ments : une moi­tié en Saône-et-Loire et l’autre dans le Rhône !)

Her­vé pointe du doigt le prieu­ré, légè­re­ment en contre­bas. C’est aujourd’­hui une ferme, et c’est pré­ci­sé­ment celle de Trololo.

Je sou­ris, parce que j’ai « cro­qué » le prieu­ré quelques jours plus tôt pen­dant une « balade des­si­née ». Je raconte à Her­vé que, l’ayant trou­vé très beau, j’ai vou­lu aller le voir de plus près... mais que j’ai fait demi-tour en com­pre­nant qu’il s’a­gis­sait d’une pro­prié­té privée.

« Mais t’es pas ren­trée ?
— Bah, c’est chez des gens !
— Oh ! Tu aurais pu, ils sont sym­pas ! Tu veux y aller ?
— Euh... D’ac­cord ! »

Et c’est ain­si qu’on se retrouve chez Guy et ses fils. Quelques poi­gnées de mains, de grands sou­rires, on est les bien­ve­nus. Dans la cour, quelques poules, deux chiens et des che­vrettes. Et puis, face à l’ha­bi­ta­tion, la cha­pelle et son clocher.

La cha­pelle a été désa­cra­li­sée. Elle appar­tient à pré­sent à une autre famille (les voi­sins, qui par­tagent la cour de la ferme avec la famille de Guy). La vue du haut du clo­cher est superbe d’a­près Guy. Il pro­pose d’al­ler cher­cher les clefs, je lui réponds de ne pas s’embêter. J’ai déjà bien assez l’im­pres­sion d’être impo­lie, avec cette intru­sion inopi­née chez eux.

Her­vé m’ex­plique que la pré­sence de la cha­pelle est pro­ba­ble­ment liée à la pré­sence d’une source gué­ris­seuse, à proxi­mi­té. Au Moyen-Âge, les lépreux, notam­ment, venaient y sou­la­ger leur peau malade et en repar­taient gué­ris (pour quelques jours, du moins, le temps que cesse l’ef­fet de l’eau miraculeuse). 

Nous quit­tons la ferme pour rejoindre Ver­gis­son et ses petits hameaux, en pas­sant par la forêt. En che­min, Her­vé me parle des Celtes. On les sait pré­sents dans l’Ouest de la Gaule, moins en Bour­gogne. D’a­près Her­vé, l’im­por­tance du site pré­his­to­rique de Solu­tré a foca­li­sé l’at­ten­tion, au détri­ment du reste de l’his­toire des lieux, et notam­ment de la période celte. Il me montre ain­si un dol­men, caché dans les bois, puis m’emmène voir l’un des men­hirs de Ver­gis­son, dres­sé le long des vignes. 

Her­vé peste rapi­de­ment sur l’é­glise de Ver­gis­son dont le clo­cher se dis­tingue au loin. Construite n’im­porte com­ment, trop vite. Il enchaîne sur celle de Fuis­sé, construite, elle aus­si, trop rapi­de­ment, mais dont l’ar­chi­tec­ture cor­res­pond plus au style local. Et puis, d’un coup, Her­vé me pro­pose d’al­ler ren­con­trer quel­qu’un. 
« Je suis sûr qu’il va te plaire ! »
Enten­du !

Ni une ni deux, nous voi­ci devant l’é­glise de Davayé. Construite en style roman, celle-ci au moins trouve grâce aux yeux de Her­vé. Tan­dis que j’ob­serve le sol­dat sculp­té sur le tym­pan, Her­vé frappe à une porte, rentre, puis dis­pa­raît de longues minutes...

L’hor­loge de l’é­glise annonce le milieu de l’a­près-midi. Her­vé res­sort bien­tôt, accom­pa­gné d’un homme aux che­veux poivre et sel. Sou­rire mali­cieux, il nous invite à le suivre. On longe l’é­glise, puis on tourne dans un petit che­min. Quelques mètres plus loin, un por­tillon donne sur un jar­din où sont dis­po­sées plu­sieurs sculp­tures. Je recon­nais tout de suite le style de l’ar­tiste, j’ai vu ses œuvres dans la chambre d’hôtes où je logeais deux jours plus tôt : nous sommes avec Jean Fontaine.

Jean ins­talle quelques chaises sous le grand saule pleu­reur, au centre du jar­din, au milieu des œuvres.

Jean est sculp­teur. Je regarde les détails, les engre­nages, les écrous. 

« C’est fait en quoi, à ton avis ? »

Jean ménage ses effets. Il laisse décou­vrir l’œuvre avant d’an­non­cer le trompe-l’œil. S’il pose la ques­tion, c’est que la réponse n’est pas évi­dente, bien sûr. Jean est céra­miste. Il tra­vaille la terre, le grès. Il moule, modèle, sculpte, et se joue des tex­tures et des teintes pour imi­ter le métal et la rouille.

Dans le jar­din ombra­gé, Jean nous parle de son enfance autour de Mâcon, de ses expos en Suisse, de ses réflexions autour des notions de monstres, de trans-huma­nisme et de post-huma­nisme, de son envie de ques­tion­ner la place de l’humain. 

Lorsque je ques­tionne Jean sur ses pro­cé­dés, Her­vé lance un « Tu ne veux pas l’emmener dans ton ate­lier ? ».
Jean sou­rit, se relève. Je sens la com­pli­ci­té entre l’ar­tiste et l’homme au cha­peau. Sur le che­min de l’a­te­lier, je leur demande depuis com­bien de temps ils se connaissent. Trente ans, qua­rante ans... Ils rigolent. Ils ne se sou­viennent plus, « mais long­temps ! ».

L’a­te­lier de Jean est une caverne d’A­li Baba. Une quin­caille­rie gigan­tesque d’ob­jets chi­nés, prêts à être détour­nés, à deve­nir un mor­ceau d’une des machines hybrides inven­tées par l’ar­tiste. Des chi­mères où le méca­nique se mêle à l’or­ga­nique, où les mou­lages des pieds des enfants de Jean rejoin­dront les mou­lages de tel ou tel objet déni­ché dans une bro­cante, don­nant nais­sance à une nou­velle créa­ture étrange. 

Dans l’en­trée, à côté du grand four à céra­mique, quelques piles d’an­ciens cata­logues d’ex­po­si­tion. En les feuille­tant, je découvre les cro­quis pré­pa­ra­toires, indis­pen­sables, mais aus­si les noms des œuvres, tous à base de jeux de mots, bien sûr. 

église sainte madeleine à Charnay

Les ate­liers d’ar­tistes sont tou­jours fas­ci­nants, et je pour­rais res­ter des heures à regar­der les outils, les détails, les objets accu­mu­lés, les réfé­rences punai­sées au mur, mais Her­vé m’a pro­mis de ter­mi­ner la jour­née en beau­té. Il veut m’emmener dans un lieu qu’il affec­tionne par­ti­cu­liè­re­ment. Direc­tion l’é­glise Sainte-Made­leine à Charnay-lès-Mâcon. 

Comme de nom­breuses églises romanes, elle a été modi­fiée, res­tau­rée, ren­for­cée et agran­die au cours des siècles. De l’ex­té­rieur, l’é­vo­lu­tion est assez visible. Her­vé pointe du doigt, tour à tour, les dif­fé­rentes par­ties ajou­tées au fil du temps : « les deux cha­pelles laté­rales au 17ème, puis ils ont refait la toi­ture du clo­cher, ensuite ils ont rajou­té une cha­pelle, et encore une autre en même temps qu’ils agran­dis­saient la nef avec un narthex ». L’en­semble pos­sède pour­tant une uni­té et un charme évident et l’in­té­rieur n’est pas en reste. Sobre et reposant. 

Mais, ici, ce qui plaît tant à Her­vé est caché der­rière l’é­di­fice reli­gieux. Le jar­din de la mai­son curiale offre un pano­ra­ma déga­gé. Selon Her­vé, c’est la plus belle vue du coin. Une table d’o­rien­ta­tion indique les dif­fé­rents points culmi­nants du pay­sage. Le Mont de Pouilly, la Roche de Solu­tré, la Roche de Ver­gis­son. Puis, au nord, le Mont Sart, le Mont de la Fa. 

La jour­née s’a­chève sans que je sache vrai­ment qui est Her­vé. Ama­teur d’art, guide avec des ânes, bâtis­seur de murs en pierres sèches, enga­gé dans l’in­ser­tion sociale et la défense du patri­moine. Je lui demande com­ment il se défi­ni­rait. Il rigole : « je pra­tique la glande active ». Et je lui réponds que ça fera un bon titre.

Cet article a été écrit dans le cadre d’une col­la­bo­ra­tion avec le Réseau des Grands Sites de France,
le Grand Site de France Solu­tré Pouilly Ver­gis­son et RP Digital.

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1 commentaire

Maxime 12 septembre 2022 - 19:18

Mer­ci pour ce beau voyage, où l’hu­main, la nature, l’his­toire et la créa­ti­vi­té sont inter­con­nec­tés. Tes pro­pos ain­si que les dia­logues illus­trent à mer­veille tes pho­tos. Bra­vo et longue vie à tous les glan­deurs actifs de ce monde ! 🙂

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