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Portrait : le domaine musical de Gérard Fauvin

par Madame Oreille
Le domaine musical de Gérard Fauvin

Ren­contre avec Gérard Fau­vin, accor­deur de bonne humeur, fac­teur de plai­sir et res­tau­ra­teur de pianos.

Ma fille et moi atten­dons plu­sieurs minutes devant la porte avant que Gérard Fau­vin ne nous ouvre. Depuis la rue, j’en­tends la mélo­die qui s’é­chappe du pia­no. Les doigts sur les touches mais l’es­prit ailleurs, à cet ins­tant, Gérard est imper­méable aux bruits du monde exté­rieur. Alors j’at­tends. Et j’é­coute. J’ai­me­rais vous dire que j’ai recon­nu du Cho­pin, du Brahms ou du Men­dels­sohn, mais mon oreille est bien trop mau­vaise pour les blind-tests.

Quelques ins­tants plus tard, Gérard nous ouvre enfin. Un grand sou­rire à la Keith Richards. Une coupe de che­veux qui évoque un Mat­thieu Che­did dégar­ni. Des yeux mali­cieux façon Sté­phane De Groodt. Des airs de Richard Gotai­ner. Et un ber­mu­da rouge. 

Der­rière lui, un immense hall d’en­trée. C’est en 1986 que Gérard et son épouse ont le coup de foudre pour la mai­son d’un viti­cul­teur de la région. Ils la rachètent, y posent leurs valises, rem­placent les fûts de Cognac par des pianos. 

Trente ans plus tard, la route qui mène à la mai­son a été rebap­ti­sée, offi­ciel­le­ment, rue des Pia­nos, et la demeure, deve­nue Domaine Musi­cal de Péti­gnac, héberge Gérard, les chats Cha­mour et Capi­taine Cou­ra­geux, et des pia­nos. Des dizaines de pia­nos. Il y en a par­tout. Des droits, des à queue, des noirs, des blancs, des bleus. Des petits, des grands. Des récents, des plus anciens. Mais aus­si des cla­ve­cins, des cla­vi­cordes. Des ins­tru­ments les plus simples et aux plus pres­ti­gieux, char­gés d’his­toire, aux illustres uti­li­sa­teurs. Ou char­gés d’é­mo­tion, comme celui, dans l’en­trée, peint par Fabienne, la femme de Gérard.

Gérard ne reçoit que sur ren­dez-vous. C’est le Mon­sieur Olli­van­der* des pia­nos. Il aime prendre le temps pour chaque per­sonne, quelle qu’elle soit, pia­niste pro­fes­sion­nel·le ou petite fille qui démarre le Conser­va­toire. Trou­ver le bon pia­no, pour la bonne per­sonne. Pour lui, chaque pia­no est unique. Et chaque pia­niste aussi.

Lais­sant ses doigts cou­rir sur les touches en ivoire, il me parle de la valeur d’un pia­no. Il m’ex­plique que c’est une chose tota­le­ment dif­fé­rente du prix d’un pia­no. Ain­si, le pia­no de sa mère, qu’il a conser­vé, pro­duit un son épou­van­table. Il est inven­dable. Et pour­tant, à ses yeux, d’une valeur inestimable.

Sa mère était pia­niste. Elle avait com­man­dé un pia­no, un Pleyel. Son père, avant la livrai­son, s’est ren­du chez le fac­teur de pia­nos et a modi­fié la com­mande. Il n’é­tait pas pia­niste. Sûr de lui, il a com­man­dé un autre pia­no, fort cher et fort impo­sant. Un joli pia­no qui irait bien dans le salon. Mais un pia­no au son hor­rible ! Un mau­vais ins­tru­ment dans un beau meuble. Sa mère en a été folle de rage. Le bou­quet de fleurs qui accom­pa­gnait le cadeau est pas­sé par la fenêtre, mais le pia­no est res­té. Et c’est sur ses touches que Gérard a fait ses gammes.

Nous sui­vons Gérard dans les dif­fé­rentes par­tie du domaine. À chaque porte qu’il ouvre, ce sont de nou­veaux ins­tru­ments. Stein­way, Blüth­ner, Feu­rich, Petrof, Schim­mel, Bech­stein... Gérard les rachète et les res­taure, ou remet en état ceux qui lui sont confiés. Ma fille a les yeux qui brillent, les oreilles en ébul­li­tion. Gérard l’en­cou­rage à tes­ter chaque ins­tru­ment, à sen­tir la dou­ceur de la touche, la réponse mélo­dieuse de la corde. Elle s’ap­plique à les essayer, l’un après l’autre. Je lui demande com­bien il peut y avoir de pia­nos, ici, à vue de nez. Elle me répond « au moins 300 ! », avec les into­na­tions typiques d’une petite fille de 6 ans qui annonce un très très gros chiffre. Le sou­rire de Gérard s’a­gran­dit : « oui, au moins 300 ! ».

Accrou­pi devant un Pleyel, Gérard enchaîne quelques notes.
« Ça, c’est très beau ! Ça fait par­tie des ins­tru­ments qui, à l’é­poque étaient faits pour appor­ter du bon­heur, géné­rer des émo­tions. C’é­tait un sup­port de culture, un vec­teur d’ac­com­plis­se­ment per­son­nel. » S’il y a une chose que Gérard ne sup­porte pas, c’est qu’on exé­cute un mor­ceau. L’ap­pli­ca­tion tech­nique et sans vie d’une par­ti­tion. Exé­cu­ter, quel hor­rible mot.
Je repense à l’un de mes exa­mi­na­teurs du BAC, pour mon oral d’Arts, avec qui j’a­vais eu une échange pas­sion­nant sur la beau­té qui se situait, selon lui dans les défauts. La petite inflexion, la petite vibra­tion, qui, loin de réduire à néant toute quête de per­fec­tion tech­nique, amène vie, huma­ni­té et émo­tion à toute créa­tion artistique. 

Gérard m’ex­plique que chaque note est unique. Le do émis par le pia­no à queue Bech­stein à 14h23 et 18 secondes, le 16 juillet 2021, n’exis­te­ra qu’une fois. Mon humeur du moment, ma per­cep­tion de la note, le contexte, les notes qui la pré­cé­de­ront et la sui­vront, ou non, l’hu­meur du pia­niste, en font une note unique. 

Gérard n’aime pas l’i­dée qu’il fau­drait tra­vailler son pia­no. Et il n’aime pas non plus, d’ailleurs, l’i­dée du tra­vail, tout court.

Pour lui, le pia­no est une source de plai­sir, « une porte vers le bon­heur ». C’est incom­pa­tible avec l’i­dée même d’une contrainte. Répé­ter des gammes, en boucle, jus­qu’à l’é­cœu­re­ment, quel intérêt ?

Sur le ton de la confi­dence, il m’ex­plique que quand des parents viennent ache­ter un ins­tru­ment pour leur enfant, il cherche avant tout à satis­faire le ou la prin­ci­pale inté­res­sée : l’en­fant. Le pia­no peut être un mer­veilleux com­pa­gnon pour plu­sieurs années. Celui sur lequel on vien­dra sou­la­ger ses cha­grins et par­ta­ger ses joies. 

Nous conti­nuons d’ex­plo­rer le domaine. Nous tra­ver­sons le jar­din, sui­vis par Cha­mour et Capi­taine Cou­ra­geux. À gauche l’au­di­to­rium Stein­way. Plus loin, l’a­te­lier. Au fond, la grange tout juste res­tau­rée, et tou­jours, par­tout, des pianos.

Gérard connaît l’his­toire de cha­cun d’eux et ne tarit pas de détails. Celui-ci vient du Japon, celui-là repar­ti­ra bien­tôt à Venise. Il me parle du pia­no à queue de Ravel, coin­cé dans 6m² entre deux biblio­thèques. Du Stein­way qu’un musi­cien pari­sien avait cou­vert de tapis pour pou­voir jouer pia­no forte dans un minus­cule appar­te­ment mal insonorisé. 

Gérard est à la fois fac­teur de pia­nos, res­tau­ra­teur et accor­deur. Mais il n’ac­corde pas au dia­pa­son. Il accorde pour le pianiste. 

« Accor­der un pia­no, c’est mettre un corps sonore en har­mo­nie avec l’u­ni­vers, à un moment don­né, dans un lieu don­né, pour une per­sonne don­née.  »

Il est comme ça, Gérard. Entre une sonate et une impro de jazz, il aime phi­lo­so­pher. Il aime que la musique soit bien plus qu’un enchaî­ne­ment de blanches et de noires, de croches et de rondes. Il aime qu’elle rap­proche les êtres, qu’elle soit un vec­teur de bon­heur, certes, mais aus­si de lien social. Alors régu­liè­re­ment, le domaine héberge un musi­cien, accueille des réci­tals, et ouvre ses portes à qui veut prê­ter une oreille.

Domaine Musi­cal de Pétignac

21 rue des Pia­nos – Juri­gnac
16250 Val des Vignes

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