Pour notre séjour au Japon, j’ai emmené ma fille en logement chez l’habitant : nous avons testé l’accueil à la ferme dans la préfecture d’Oita.
Terminus, tout le monde descend. Petite Oreille et moi arrivons en gare de Yufuin. La foule se presse pour rejoindre la sortie. Au fond, j’aperçois nos hôtes pour les prochains jours : Yuzan et Shizue. Les Tanabe tiennent une grande feuille portant nos noms et affichent déjà un large sourire. L’échange est rapide : bonjour, bienvenue, hochement de tête, petit rire. On les suit jusqu’à la voiture, direction la maison.
Yuzan et Shizue
Oita, Japon
La route nous donne un bel aperçu des paysages des alentours. Nous nous trouvons sur l’île de Kyushu, au sud. C’est une province rurale, parsemée de volcans et de moyennes montagnes. Grâce à la douceur de son climat, la région est devenue un endroit propice au développement de l’agriculture. Rizières en terrasses, bien sûr, mais également cultures maraîchères, agrumes, arbres fruitiers, thé...
La région est très connue, au Japon, pour ses onsen, ses bains et eaux thermales. Il y en a partout ici !
Shizue montre un onsen public à Petite Oreille
L’accueil à la ferme
Au vu du grand nombre de fermes implantées ici, il s’est développé un réseau d’agrotourisme local, avec les paysans d’Oita. Les voyageurs peuvent ainsi séjourner quelques jours dans une ferme afin de partager le quotidien d’une famille japonaise. J’adore ce genre d’immersion chez l’habitant avec ma fille. C’est l’occasion d’en apprendre bien plus sur la culture japonaise que dans n’importe quel guide touristique. On découvre la vie réelle, actuelle. On passe du temps avec des habitants qui sont heureux de partager leur quotidien. C’est très enrichissant, surtout pour un enfant !
Shizue et Yuzan ont donc une petite ferme sur les collines, non loin de Yufuin, à Oita. Ils travaillaient précédemment à Fukuoka et ont eu envie de changer de vie. Ils ont donc acheté cette ferme et passé plusieurs années à la retaper avant de quitter la grande ville pour venir s’installer ici. Ils possèdent deux bâtiments. L’un est dédié à l’accueil des touristes, avec plusieurs chambres, une grande salle à manger, un salon douillet, un petit onsen privé et une cuisine. L’autre est leur habitation.
Une petite terrasse couverte sépare et relie les deux bâtiments. C’est là que se prennent les repas en été, avec une vue plongeante sur la vallée. Autour, les maisons sont clairsemées, entourées de champs et d’arbres. Pas de monoculture, tout le monde cultive un peu de tout.
Ci-dessus : la ferme des Tanabe, en haut de la colline
Ci-dessous : la vue depuis la terrasse au petit matin, et les alentours
Yuzan et Petite Oreille en pleine récolte :
Le premier soir
Peu de temps après notre arrivée, Shizue nous propose de la suivre en cuisine, dans l’autre maison. Et c’est parti pour un long cours de cuisine ! Petite Oreille, hissée sur une chaise, épluche, coupe, taille, émince. Shizue lui explique ce qu’il faut faire en japonais, puis lui montre. Elles préparent toutes les deux nombre de légumes que Petite Oreille n’a jamais vus. Ma fille s’applique. Je la savais capable de rester longtemps sur des activités qui lui plaisent, mais je suis épatée de la voir ainsi concentrée sur l’épluchage des pommes de terre grâce à l’approche très pédagogique de Shizue. Celle-ci prend le temps de montrer, la laisse faire des erreurs, puis recommencer. Shizue guide peu à peu Petite Oreille pour qu’elle puisse se débrouiller seule.
Je les regarde toutes les deux dans la cuisine. La connexion est déjà passée ! Elle est là, la magie du logement chez l’habitant avec un enfant en bas âge ! D’un côté comme de l’autre, la complicité est évidente. Shizue prend plaisir à voir « Petite Oreille-san » reproduire ses gestes. Et Petite Oreille est aux anges quand Shizue lui dit que c’est bien !
On sonne à la porte. Un petit garçon entre, suivi d’une petite fille. Vêtus de kimonos, ils arborent tous les deux des masques faits de carton et de gommettes. Kohta est déguisé en dragon. Il fait le timide, dans un coin de la pièce. Sa sœur, Miwa, n’est pas plus bavarde.
Leurs parents ne tardent pas à arriver. On met les couverts, et tout le monde passe à table.
Ce soir, c’est repas traditionnel : nous testons le suriyaki ! Les légumes et champignons préparés plus tôt sont diposés dans un cuiseur, placé au centre de la table. Chacun se sert, on essaie de goûter à tout. C’est un repas convivial qui, sur le concept, pourrait rappeler nos fondues et autres raclettes : la tablée est réunie pour manger ensemble.
Itadakimasu !
Les Tanabe et les Inada se connaissent bien. En plus d’être voisines, les deux familles ont toutes les deux des fermes dans lesquelles elles accueillent des touristes. Nous apprenons à nous connaître au fil de la soirée. Le couple invité, trentenaire, a fait le choix de venir dans la région pour une vie plus simple. Yumiko était auparavant bibliothécaire à Fukuoka. Elle est passionnée d’illustration et dessine beaucoup. Quant à Kenji, il a la particularité de parler italien. Il a vécu, en effet, 6 mois en Italie, entre un trimestre au Mexique et quelques mois en Inde.
Yumiko, Kenji, Kohta et Miwa
Yumiko n’est pas venue les mains vides. Dans un grand panier, elle a amené une belle collection de kimonos. Elle a dans l’idée d’en mettre un à Petite Oreille. Elle choisit l’un des plus beaux, parmi ceux dédiés aux cérémonies. L’enfiler demande toute une technique. Petite Oreille est toute fière, Yumiko a le sourire jusqu’aux oreilles. Quant aux deux enfants, ils rient aux éclats. Shizue court chercher son téléphone, Yuzan a son appareil photo, Yumiko aussi : voici les trois enfants mitraillés de toutes parts, très fiers dans leurs beaux habits !
Une journée avec le Cercle des mamans de la région
Au Japon, la plupart des mamans arrêtent de travailler quand l’enfant arrive. L’éducation est une chose importante. Alors pour les enfants qui ne sont pas en âge d’aller à l’école, il existe des Cercles de Mamans. Quand Petite Oreille était bébé, j’allais plusieurs fois par semaine dans des associations où les mamans (ou les autres membres de la famille hein, mais dans les faits, c’est toujours les mamans...) se réunissaient pour papoter pendant que les enfants jouaient ensemble. Ainsi, avant l’école, les petits apprennent tout de même à côtoyer d’autres enfants, tandis que les mamans peuvent garder un semblant de vie sociale malgré l’isolement qui frappe toutes les mères au foyer. Il n’est donc pas surprenant que ce genre de réunions ait lieu partout dans le monde. Mais la version japonaise est très différente de ce que j’ai pu connaître en France.
Tout le monde s’est donc retrouvé chez les Inada au petit matin. Après une rapide présentation, la dizaine de mamans présentes a entamé une comptine à gestes. C’est le rituel à chaque réunion, on commence toujours en chansons. On a posé les sacs devant la maison (je vous ai dit que personne ne ferme à clef ici, tellement y’a aucun problème de sécurité ?) et on est parti en petite randonnée, au milieu des champs. A la vitesse des enfants, on a marché doucement, en les laissant ramasser des fleurs, grimper, explorer. Tout le petit groupe s’est ensuite réuni autour d’une source. L’eau y était belle, les enfants ont commencé par boire. Puis mettre les bras dans l’eau. Et puis vous devinez la suite, y’a eu quelques pantalons mouillés. C’est là que j’ai commencé à comprendre le cœur même de l’éducation à la japonaise : la liberté. Les enfants expérimentent par eux-mêmes. Tant qu’ils ne se mettent pas en danger, les mamans laissent faire.
Et ce goût pour la liberté et l’expérimentation était tout aussi palpable dans la suite des activités : les enfants ont préparé eux-mêmes le repas de midi. Ils avaient tous entre 2 et 4 ans, mais se débrouillaient très bien. Et dès 2 ans, ils étaient capables de tailler les légumes avec beaucoup de sérieux et de s’occuper du feu. C’est, au final, une éducation faite de sourires et d’encouragements. Les enfants sont poussés à l’autonomie, et tant pis s’ils font des erreurs.
Pendant le repas, j’ai pu discuter un peu plus avec les mamans. Des femmes brillantes et cultivées pour qui cette vie est un choix. Une seule d’entre elles est originaire d’Oita, toutes y sont venues ou restées par choix, aspirant pour leurs enfants à une vie loin de la ville.
Il y avait Honda, qui a fait ses études dans la grande ville d’Oita, et y a rencontré un vietnamien, son futur mari. Elle ne pensait pas rester à la campagne, et pourtant, devenue maman, elle n’envisage plus de repartir. Voir sa fille courir au milieu des champs semble être la chose la plus importante pour elle.
Je discute aussi avec Marina, qui a travaillé deux ans à Nairobi avec les gamins des rues. Elle parle ainsi mieux swahili qu’anglais. Entendant parler du Kenya, Kenji n’a eu qu’une question : « est-ce que le riz y est bon ? »
Après le repas, nous avons poursuivi sur des activités créatives : lecture d’histoires, atelier musical avec des chansons, des comptines, de la chorale, puis origami et enfin préparation du goûter. A la fin de la journée, tous les enfants étaient couverts de farine, de sucre, ou de taches diverses. Quant aux mamans, j’ai compris pourquoi elles portent toutes des tabliers par-dessus leurs habits ! Mais ce que j’ai retenu, et qui m’a le plus surprise (même si ça n’est pas si surprenant, rétrospectivement) c’est que, pendant toute la journée, avec une dizaine de mamans et autant d’enfants, hé bien il n’y a eu aucun cri. Aucun enfant n’a hurlé, aucune maman n’a grondé. Tout s’est passé dans le calme et la bonne humeur.
La fois où Petite Oreille a fait sonner le gong du temple
Ce n’est pas un jouet, c’est le gong du temple. L’habitude est de le faire sonner une fois, à heure précise, tous les jours. On l’entend dans toute la vallée. Mais ce jour-là, il a sonné plusieurs fois, et même pas à l’heure ! Eh, oui, Petite Oreille a trouvé ça très drôle.
Nous étions chez Shizue et Yuzan depuis plusieurs jours et ce drôle de bruit nous intriguait toutes les deux. J’avais donc demandé à nos hôtes ce qu’était ce gros DONG. Ils nous avaient expliqué qu’il provenait du temple, au village, sur le versant opposé. Et je crois que c’est à cet instant qu’ils se sont dit qu’ils allaient nous emmener le voir le lendemain.
Nous sommes partis au pas de course. Non seulement parce qu’il fallait être à l’heure au temple pour voir le gong au moment où il retentit, mais aussi parce que Petite Oreille courait devant, rigolant à gorge déployée, poursuivie par une Shizue en pleine forme.
Nous sommes arrivés au temple à l’heure. Nous avons attendu, sagement. Mais personne n’est venu sonner le gong. Le gong, c’était en fait une grosse cloche, qui se trouve devant le temple et contre laquelle on pousse un lourd maillet en bois.
Mais Shizue n’avait pas envie d’être venue pour rien : elle est donc allée frapper à la porte de la petite habitation attenante, avec Petite Oreille dans les bras. Une dame âgée a ouvert et Shizue a dicuté avec elle. Je n’ai, bien sûr, strictement rien compris, mais il y avait des sourires. La dame est alors allée jusqu’au gong. Elle a tiré le maillet, puis l’a poussé dans un DONG sonore.
Nous étions tous ravis, j’ai remercié et Petite Oreille a sorti son plus bel « arigato ». Et voilà que cette dame nous propose de faire essayer Petite Oreille. Ça ne se refuse pas ! Ma fille est toute contente et se concentre sur la tâche ardue. Dong, une première fois. La dame lui demande si elle veut réessayer. Quelle question ! DONG, une seconde fois. DONG, DONG.
Petite Oreille aurait pu continuer toute la soirée, mais on a quand même arrêté au quatrième essai. Les habitants de la vallée auraient fini par se demander pourquoi le gong sonnait ainsi, plusieurs fois, en dehors des heures habituelles !
La fois où on a appris à préparer des makis
Le soir précédent, Petite Oreille s’était régalée avec du poisson cru dans de la sauce soja, à la surprise de la tablée. Alors nos hôtes ont proposé que nous préparions des makis.
Le maki, c’est un classique de la gastronomie japonaise. Et ça demande un certain tour de main. Shizue a donc déposé le nécessaire sur la table. Sur la feuille d’algue, il a d’abord fallu étaler le riz... Fou rire général parce que bien sûr, le riz gluant reste collé sur les doigts plutôt que sur l’algue ! Et puis il a fallu choisir les ingrédients à disposer au centre, avant de rouler le futur maki à l’aide du petit tapis. Avant de couper en tranches le rouleau ainsi obtenu. Bref, rien n’est réellement très compliqué, mais ça demande un peu d’expérience pour que tout tienne bien.
À l’heure de la dégustation, on ne peut pas dire que Petite Oreille ait vraiment fait honneur au plat, mais elle a beaucoup fait rire nos hôtes : elle a entrepris d’éplucher chaque maki qu’elle mangeait, enlevant minutieusement la feuille d’algue. J’ai bien tenté de la convaincre de manger les makis normalement, arguant qu’elle mange l’algue lorsque je l’emmène, en France, au restaurant japonais, mais la voir faire amusait tellement Shizue et Yuzan, qu’ils m’ont demandé de la laisser continuer ainsi...
Faire de la poterie avec Yuzan
Yuzan pratique la poterie depuis plus de 20 ans. En venant s’installer à la campagne, il a transformé sa passion en activité professionnelle. Il réalise des céramiques en tout genre, vaisselle ou décoration. Shizue réalise, quant à elle, les décors minutieux, qu’il s’agisse de modelage ou de former des motifs avec des poinçons. Leurs créations sont exposées partout dans la maison.
Yuzan a un grand atelier attenant à la maison, ainsi qu’un grand four, dans un bâtiment extérieur. Il propose aux visiteurs qui séjournent chez eux de s’essayer à quelques techniques et Petite Oreille était, bien sûr, ravie de créer quelque chose de ses mains ! En l’occurrence, un abat-jour de décoration dans lequel on pourra soit glisser une ampoule soit poser une bougie. Le pot était déjà moulé : suffisamment sec pour tenir, mais pas trop pour pouvoir être perforé. Il a fallu dessiner la forme de la découpe, dans le bas du pot, puis utiliser les poinçons. Un bon exercice de patience et de minutie !
Quelques photos de plus
Ci-dessus : Shizue et Petite Oreille devant la maison. Les fleurs séchées qui décorent l’entrée
Ci-dessous : les deux familles (et nous !) à table !
Ci-dessus : Kohta en train de se cacher
Ci-dessous : théâtre d’images par Yumiko
Organisez votre séjour chez l’habitant
Dans le ce second article, je vous raconte notre expérience avec une deuxième famille, et je vous donne toutes les infos pratiques pour venir à Oita, au Japon, et réserver votre hébergement dans une ferme, chez l’habitant !
Ce séjour a été organisé en collaboration avec l’agence Igloo Japan et l’Office de Tourisme d’Oita.
Les japonais sont tellement adorables, c’est toujours un moment exceptionnel de passer quelques jours avec eux !
Tellement ! Et on en apprend tellement plus sur la culture japonaise ainsi 🙂
Superbe article ! Ca donne très envie d’en faire autant !
C’est une super expérience 🙂
Je trouve tellement mignons les articles où tu pars avec ta fille en vacances
Ahah, merci 😀
Cet article est sublime, vraiment. J’avoue qu’avec les réseaux sociaux, je prends moins le temps de lire certains blogs et c’est bien dommage, car j’ai pleins d’articles en retard par ici (en même temps, ça me fait aussi plein de lecture en stock !)
Les rencontres, l’Humain, c’est ce qui change tout dans un voyage. Pouvoir partager des bribes de vie quotidienne avec les locaux, c’est une expérience tellement enrichissante ! Tes photos sont empreintes de douceur et de spontanéité, je suis admirative de ton travail. Il me semble bien plus difficile de capter ces tranches de vie plutôt que de passer des heures à composer une photo de paysage... Je n’ose pas trop encore faire de portraits, mais ça vient petit à petit. Bref, c’est un superbe retour d’expérience que tu partages ici et je suis ravie de te lire. À bientôt !
C’est vrai que c’est plus difficile. Ça demande plus de temps, plus d’implication. Mais ça rend le voyage bien plus agréable, de créer ces liens 🙂
Bonjour, quel bel article !! Nous partons au Japon avec notre fille qui aura un an en octobre 2019, et nous serons notamment quelques jours sur l’île de Kyushu. Votre récit nous a tellement enjoué que nous aimerions aussi séjourner quelques nuits dans la ferme de cette famille. Pourriez-vous nous donner les adresses ? Je vous remercie !
Bonjour Cécile,
J’ai publié un deuxième article avec les adresses et contacts 🙂
C’est superbe ! Tu arrives à capter des choses tellement essentielles. Pour avoir été au Japon et m’être baladé dans les Alpes Japonaises, je retrouve dans tes photos un peu de mon voyage. Merci à toi et j’ai hâte de voir la prochaine publication.
Merci beaucoup Mathilde 🙂
Bonjour,
J’ai adoré votre petit reportage sur l’immersion dans des familles Japonaises . Nous serons au Japon en mai 2020 et nous aimerions vivre la même expérience. Nous arrivons à Tokyo et repartons de Kyoto, pouvez vous me dire comment il est possible d’arriver dans leur village, doit on prendre un avion interne ou est il possible en JR ? Cordialement, Mélanie
Bonjour Mélanie,
Pour aller chez eux, il faut descendre en gare de Yufuin, et le train Fukuoka-Yufuin est justement très réputé et apprécié au Japon ! (Fukuoka est accessible en Shinkansen)
Bonjour, Merci tout d’abord pour ce partage ! J’envisage d’aller à Kyushu et justement au sud en Juin prochain et je voudrai privilégier le logement chez l’habitant. De plus je suis aussi photographe et à la vue de vos photos, il me semble que vous n’avez pas eu de souci pour photographier. Est-ce bien le cas ? Vous avez mon mail et peut-être pourrions-nous correspondre davantage en dehors de cette page ?
Merci par avance. Christie