En Juin, j’étais invitée en résidence d’artiste en Mayenne. Deux mots qui font un peu peur mais qui veulent surtout dire que je suis allée passer dix jours là-bas pour concrétiser un projet sur lequel nous travaillions depuis quelques mois. Très concrètement, l’idée était de remonter à vélo la Mayenne depuis le sud du département jusqu’à sa source dans le nord. A vélo, parce que ça nous permettait de mêler mobilité et simplicité, la rivière étant bordée de superbes chemins de halage. Le but était de rencontrer des gens au fil de l’eau, ceux qui font la Mayenne, à leur manière, avec des profils et des vécus différents mais toujours passionnants. Et si je dis nous, c’est parce que dans cette aventure, j’étais accompagnée par Greg, de Atmosphères Production. En effet, pendant que je faisais des photos, il réalisait un documentaire.
Mais avant de vous en dire plus sur le projet, parlons un peu du voyage lui-même. J’ai poussé mon vélo pliant (le même que j’avais déjà emmené en Islande ou en Roumanie) jusqu’à Montparnasse ; un fidèle destrier qui commence un peu à se faire vieux, mais qui reste pratique pour prendre l’avion ou, en l’occurrence, le train. Rentrée de l’Île de La Réunion depuis moins de 48h, je n’étais pas spécialement très en forme, mais il faut dire une chose : les chemins de halage sont magnifiques. C’est, bien sûr, globalement plat, et dans l’ensemble plutôt bien entretenu (il y a deux ou trois passages un peu pénibles avec des graviers un peu dangereux, mais on les passe rapidement). C’est typiquement le genre d’escapade que je conseillerais à qui veut faire passer un week-end à vélo au grand air.
Pendant notre voyage le long de la Mayenne, nous avons donc rencontré de nombreux habitants. C’est ce que raconte le documentaire de Greg, faisant la part belle aux interviews que nous avons réalisées. Le film sera diffusé dans les salles de Mayenne (et d’ailleurs) dans quelques semaines. Il existera aussi sous forme de courtes vidéos, disponibles sur internet. Quant à mes photos, elles feront l’objet d’une exposition, dont je vous reparlerai sans doute quand j’aurai toutes les infos.
Maintenant, j’ai envie de vous présenter ces mayennais à qui j’ai tiré le portrait. (Note : les textes comme la présentation sont juste pour le blog, pas pour l’expo !).
Je rencontre Christine et son fils le soir de mon arrivée. Nous dormons dans leur maison d’hôtes, un endroit ravissant, sur les rives de la Mayenne. L’ambiance est telle qu’on se sent rapidement en famille, une ambiance propice à la discussion. Leur histoire est très touchante, et la rencontre émouvante. Marc-Alexandre, dit Marca, a été diagnostiqué autiste dès son plus jeune âge et c’est ce qui a poussé Christine a ouvrir leur maison aux touristes. Ainsi, elle gagnait un peu de disponibilité pour son fils, mais surtout, il y avait du passage dans la maison, pour qu’il rencontre des gens d’horizons différents.
Marc-Alexandre ne s’est ouvert au monde que récemment, et grâce à un appareil qui sera à la fois notre point commun et le point de départ de nos conversations : un appareil photo. Il a commencé par photographier des plaques d’immatriculation, en série, et fait maintenant des portraits. Ce moyen de communication a aussi libéré sa parole, les deux étant arrivés simultanément. Et savoir que la photo peut à ce point faire du bien à quelqu’un, hé bien je trouve ça incroyablement magique ! Ni plus ni moins !
Christian Huchedé, c’est un parcours hors du commun. Tout commence à la fin des années 60. Pendant qu’une partie de la jeunesse française lance des pavés, il secourt ses premiers animaux. Une histoire de hasard, un cormoran blessé qui amène d’autres oiseaux, et transforme sa maison en refuge. Et c’est justement un refuge qu’il va créer, celui de l’Arche. Notre Noé mayennais ne se limite pas aux oiseaux. Quelques décennies plus tard, le Refuge de l’Arche est malheureusement très grand. En faisant la tournée matinale des animaux en sa compagnie, j’aperçois aussi bien des primates que des fauves, des serpents, des animaux de ferme. Ils ont tous des histoires un peu similaires, blessés, abandonnés... Et dans le lot, beaucoup qui n’auraient jamais dû être en captivité.
Et pour s’occuper des animaux, le Refuge a mis en place des chantiers d’insertion, aidant des humains en parallèle, tant qu’à faire !
Albert et Odette sont les grand-parents de Greg. L’occasion de rencontrer des gens qui ont toujours vécu ici, qui aiment leur région, et la vie simple qu’ils y mènent. Un petit havre de paix, à quelques minutes du centre médiéval de Château-Gontier, avec un grand potager et une maison familiale, au calme...
Odette me présente son dernier lapin. Il n’a pas de nom, mais il a pour l’instant la vie sauve. Albert peut râler, Odette s’est attachée à ce lapin, et celui-là ne passera pas à la casserole, pas tout de suite. Et puis il ne sert pas à rien, il mange les épluchures !
Je rencontre le Père Abbé Joseph à l’abbaye du Port-du-Salut, à Entrammes, où il passe une retraite paisible. Nous marchons autour du petit étang artificiel qui se trouve derrière les dortoirs. Je viens d’y passer la nuit, et la moindre des choses qu’on puisse dire, c’est que le lieu est calme ! Le Père Abbé nous parle des romains qui s’étaient jadis installés là (il reste les thermes, juste à côté), du fromage qu’ils produisaient jusqu’à récemment (le Port-Salut), de l’électricité qu’ils revendent à EDF avec leur centrale hydraulique. Il nous parle aussi de sa vie, de ses années en Guinée, dans les forêts humides, puis chez les Dogons au Mali, où tout est sec et où il construisait des puits.
Monsieur Lemonnier a eu une vie bien remplie. Il nous reçoit chez lui, une maison construite sur une colline, avec une forêt privée, rien que ça. On commence par parler de sa jeunesse, entre guerre, résistance et camps, puis il nous parle des années qui ont suivies où, par défi, il a monté une entreprise d’accouvoirs (des machines pour couver les œufs) et est allé les vendre dans le monde entier. Il s’est ainsi retrouvé en prison au Maroc, essayant d’expliquer que le client lui avait donné l’argent en liquide et que c’était de la vente que sortait cette valise suspecte. Il a aussi été séquestré par le frère de Khadafi, en Lybie, qui refusait de le laisser partir tant que les poussins ne seraient pas là...
Les trois rencontres qui suivent ont eu lieu a Fontaine-Daniel, le genre de village où je me dis « ouah j’adorerais vivre ici », et en même temps, je ne sais pas si j’en serais capable, tant tout est très communautaire. Élise et Matthew ont fait le choix d’y emménager. C’est une jolie histoire. L’histoire de deux personnes qui se rencontrent aux États-Unis, alors qu’elle y étudie pendant un an, puis qui se retrouvent des années plus tard... Et il vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants, mais pas tout de suite. Ils étaient d’abord installés à Mayenne, la grosse ville d’à côté, et ne s’y plaisaient pas vraiment. Un jour, pendant une promenade, Matt est tombé sur Fontaine-Daniel, et a eu un coup de cœur.
La place principale est superbe, avec ses grands arbres, bordée par un lac. Difficile de ne pas trouver ça charmant. Alors ils ont emménagés dans un des anciens logements ouvriers de la ville, y ont fait quelques travaux et s’y sont installés. Ça n’a pas l’air de déplaire aux deux filles...
Élise s’est beaucoup investie dans la vie du village, très développée malgré la taille de celui-ci (la Fête de la Terre attire 6000 personnes chaque année, pour choisir l’exemple le plus parlant) et travaille maintenant a la réouverture d’une épicerie, qui aura aussi et surtout vocation à devenir un lieu de vie.
Mamie Suzanne est l’une des voisine d’Élise. Elle a emménagé dans les logements ouvriers à l’époque où ils en étaient encore. Son mari était le cantonnier du village. Pour comprendre l’histoire du village et de ses habitants, il faut savoir que tout est lié à une entreprise : les Toiles de Mayenne.
Les Toiles de Mayenne sont très réputées, dans toute la France et au delà, pour leur qualité. Des gens se déplacent jusqu’ici pour acheter un canapé recouvert avec de la toile de Mayenne, ou des rideaux. C’est une entreprise familiale, et au fil des générations le village s’est agrandi pour accueillir les travailleurs. A la « grande époque », il y avait même une école. Myriam a la trentaine, et fait partie de ceux qui ont grandi ici, et y sont restés, parce qu’elle y est heureuse. Elle travaille aux Toiles de Mayenne, comme encore beaucoup de gens dans le village, et elle sourit quand on lui demande de parler de Fontaine-Daniel...
Comment vous présenter Rémi Fonteix ? C’est un acteur, un conteur, un mec qui dira qu’il n’est pas historien mais l’est un peu quand même. Avec lui, j’ai découvert le concept d’archéologie expérimentale, j’ai parlé des différences entre les chevaux de l’époque gauloise et les autres, j’ai appris plein de choses sur le riche passé de la Mayenne médiévale. Bref, difficile de le présenter en quelques lignes. Disons juste que c’est le genre de personnage qu’on croise, en costume, au détour d’une animation, et qui vous embarque pour apprendre tous les détails du passé de la région. Un petit côté puits de science avec des centaines d’accessoires stockés chez lui.
M. Chardon est un monsieur très étrange. Il est devenu prêtre mais la seule chose dont il parle avec conviction, c’est d’art. Il y consacre ses journées, et ses soirées, depuis sa jeunesse. Et c’est d’ailleurs comme cela qu’il est rentré dans les ordres, parce que c’était un endroit où on ne l’empêcherait pas de peindre. Alors il fait des croquis, de la peinture, de la faience et même, mais ça n’a rien d’étonnant, des vitraux...
Arnaud et Céline vivent à Pré-en-Pail, dans le nord de la Mayenne. Une petite ville où il ne se passe pas grand chose. Alors ils ont voué leur vie à mener des actions culturelles pour créer du lien social. Ça commence quand Arnaud est tout jeune lycéen, et qu’il organise des concerts, puis la forme évolue, et le voilà maintenant dans ce grand local où il fabrique des jeux avec son association Payaso Loco. Attenante, une ludothèque accueille les enfants des environs plusieurs fois par semaine, et juste à côté, un partenariat avec le secours populaire a permis de mettre en place une petite boutique où se mêlent vêtement et trésors.
Olivier est conteur et crieur public. C’est le monsieur qu’on croise au marché, et qui va lire les petits messages laissés par les habitants, déclarations d’amour et opinions politiques comprises. Je le rencontre à la Pierre-au-loup, un lieu dit avec un gros dolmen, planqué non loin du Mont des Avaloirs (qui domine la Mayenne et une bonne partie de l’Ouest de la France). C’est en dessous que la Mayenne prend sa source. Alors forcément, on passe la soirée à écouter ses histoires, et pour connaître la légende de la source de la Mayenne, hé bien il faudra regarder le film !
Merci à tous ceux dont j’ai tiré le portrait, à ceux qui nous ont accueillis, hébergés, et merci à Greg, Chloé, Antoine, Pierre, Yann et tout ceux qui ont participé à ce projet de près ou de loin !
18 commentaires
Vous avez bien retranscris l´esprit de la Mayenne et de Fontaine-Danel, source inépuisable de bonnes histoires, merci ! 😉
Les photos sont magnifiques, le coin a l’air sublime, bravo !
Bravo, mille fois : pour la qualité des photos, les personnes, bien choisies on a envie de les connaître, et pour nous avoir raconté l’histoire de cette région, pas très loin de chez moi (et pourtant...) ; tient j’ai envie d’aller y faire un tour !
bonne semaine
Merci pour ce reportage sur cette région (encore méconnue de France) et qui me manque toujours autant.Mon exil en Belgique, depuis plus de 30 ans n’a en rien effacé la première partie de ma vie, partagée entre Château-Gontier ville ôu je suis née, et Laval.
Un merveilleux carnet d’images !
Bravo encore !
cordialement
Florence
Merci pour ce beau reportage sur notre si belle Mayenne et ses habitants.
Ha, la Mayenne, je m’en souvient comme si c’était hier, j’ai habité Laval quelques années...
J’ai 2 compliments à vous faire, le premier, c’est sur vos photos qui sont vraiment « recherchées », et le deuxième c’est sur votre blog. Je trouve génial la façon dont vous avez agencé les photos sur votre blog, comment avez vous fais ca ?
Cordialement,
L’agencement est fait sur photoshop, tout simplement 🙂
Merci pour votre commentaire !
Jolies rencontres majestueusement illustrées par de jolies photos... J’aime ces articles de voyage qui nous démontrent qu’il n’y a pas qu’au bout du monde que les rencontres sont belles.
Très bel article qui démontre que la Mayenne c’est bien plus que des champs pleins de vaches ! Et c’est une mayennaise qui le dit !
Très belle ascension et parcourt à vélo superbement transcrit. C’est un voyage non seulement dans le présent mais aussi dans le passé de ce merveilleux coin de France.
Dis donc ça donne envie de se balader en Europe tout ça ! 🙂
Ah ! notre belle Mayenne.
Magnifiques photos de la Mayenne.
Félicitations.
Rachel
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La mayenne, j’adore et la elle est particulièrement bien exposée.
bravo
Bravo,
Superbe reportage photo de cette belle région de la Mayenne.
un habitant du département voisin : la Vendée !
Ah le vélo, je pense que c’est le transport le plus sociable et le plus sociabilisant !
J’adore vos petites histoires sur les personnes rencontrées en voyage. Cela donne du caractère, du cachet et un côté très unique à vos voyages.
Belle ballade et beaux récits. Photos superbes. Ce voyage donne envie d’y aller. J’ai acheté un vélo pliant que je vais emporter en voiture, permettant ainsi une grande liberté de manoeuvre.
cordialement Joseph Martin les sables d’olonne 85
Bonjour « Madame Oreille », tout d’abord merci pour ce très chouette reportage !
Lors de ce voyage, vous avez rencontré Bernard Chardon, je travaille actuellement pour l’association qui le soutient et chercher à réunir toutes informations le concernant. Avez-vous traces (récits, enregistrements, photos... ?) de cette rencontre ?
Merci d’avance !