Partager la vie d’un petit village de pêcheurs groenlandais pendant une semaine. À quoi ressemble une maison ? Comment s’organise-t-on pour avoir de l’eau ? La vie quotidienne au Groenland.
Notre séjour à Saqqaq commence par un voyage en bateau. Un petit ferry rallie le village une fois par semaine depuis Ilulissat. Saqqaq est le terminus. Pendant plusieurs heures nous naviguons au milieu des icebergs, ces monstres de glace impassibles.
Le bateau fait quelques arrêts au fil du chemin, les passagers descendent au fur et à mesure. Saqqaq est le terminus. Le ferry arrive en milieu d’après-midi, et repart quelques minutes plus tard pour le voyage retour vers Ilulisat. Il n’en vient qu’un par semaine, qui dépose quelques colis et le courrier au passage.
Pour vous faire une idée, voici une carte :
Note : Google écrit Sarqaq car c’est ainsi que cela se prononce. Le village a beau être petit, il est disponible en street view ! Les habitants se souviennent encore du jour où l’hélicoptère s’est posé et où ils sont venus faire les prises de vue avec leurs engins étranges. (Je pense que quelqu’un chez Google avait envie de s’offrir un voyage au Groenland... Je ne vois pas d’autre explication pour qu’un si petit village soit disponible avec une telle précision !)
Saqqaq est à la fois un village typique et moderne où être isolé ne veut pas dire être coupé du monde. Le mythe de l’inuit qui mange son phoque cru dans son igloo ne pourrait pas être plus erroné ! Pour la renommée du village, les habitants sont fiers de deux choses : Hannibal Fencker et Qivitoq.
Fencker est un homme connu pendant la période coloniale. Il avait la particularité d’avoir vécu toute sa vie au Groenland et d’en maîtriser la langue. Il a vécu à Saqqaq : sa maison est toujours là, et il y est enterré.
Quant à Qivitoq, pendant une semaine, tout le monde va m’en parler ! C’est un film danois tourné à Saqqaq au milieu des années 50 et qui avait été nominé aux Oscars et à Cannes, à l’époque.
Aujourd’hui, Saqqaq c’est un petit village de 159 habitants répartis dans une cinquantaine de maisons. L’ouverture d’une conserverie a changé la vie locale : la pêche fait vivre quasiment tout le monde !
Ici, on pêche le flétan à la palangre. Le cours du flétan fait qu’à l’heure actuelle, pêcheur est un métier très rémunérateur, malgré des conditions de travail très difficiles. Ils partent tôt le matin sur de petites embarcations, et rentrent le soir avec quelques dizaines de kilos de poisson qui partiront directement à l’usine. Pour l’instant, ils ont la chance de voir leurs emplois protégés par des lois qui interdisent aux gros chalutiers d’approcher mais le flétan est menacé par la surpêche dans les eaux internationales.
Bienvenue à Saqqaq, Groenland
Nous descendons du bateau, Petite Oreille dans les bras et sacs sur le dos, sans trop savoir où aller. Nous devons dormir dans la maison de Palle Petersen, un écrivain danois qui vient passer ses étés ici. Je le cherche un peu dans la foule (foule à l’échelle de Saqqaq, hein !) mais c’est lui qui me trouve en premier. Il n’a pas le bon prénom, mais il y a tellement d’intermédiaires entre nous, que je le pardonne.
Il m’explique rapidement où se trouve sa petite maison rouge, avant de grimper dans le bateau. Il rentre à Copenhague, et nous, nous découvrons l’endroit où nous allons passer la semaine. Il n’y a pas de route ici, juste quelques chemins poussiéreux, et aucune voiture, seulement quelques quads. Le village semble calme, paisible. Je sens que nous y serons bien.
La maison de Palle est une petite bicoque rouge, toute simple. Il écrit beaucoup sur le Groenland et vient y puiser son inspiration. Les voisins nous donnent les clefs, et nous découvrons notre maison pour la semaine qui vient...
On est immédiatement subjugué par la vue. Deux grandes vitres offrent un panorama splendide sur les icebergs. Pendant les jours suivants, je passerai des heures entières à les regarder, et je peux comprendre que Palle ait voulu s’installer là !
Notre maison pour la semaine
La maison n’est pas représentative des autres maisons du village par ses équipements (très sommaires) et sa décoration (faite de souvenirs, de cartes et de peintures évoquant le Groenland et des inuits). N’allez pas imaginer que tous les habitants utilisent une vertèbre de baleine comme tabouret !
Peu importe le degré de modernité, il y a des choses que tous les habitants ont en commun, et qu’on retrouvera dans la plupart des petits villages du Groenland, à commencer par les toilettes et l’eau.
Les toilettes et l’eau
Ici, toutes les maisons sont posées sur la roche. Il est donc impossible d’avoir une fosse septique, ou de creuser pour installer des canalisations. Un système de sacs en plastique a donc été mis en place. C’est assez similaire à des toilettes sèches (dans un pays sans arbres, il était également impossible, bien sûr, d’utiliser de la sciure).
Le sac en plastique est donc installé dans les toilettes. Une fois par semaine, un employé municipal passe collecter les sacs remplis déposés dans les boîtes installées à l’extérieur de chaque maison, et distribue les nouveaux sacs en plastique. Ces sacs, tout comme les poubelles, seront emmenés à la déchetterie pour être incinérés.
Quant à l’eau, ce n’est pas quelque chose qui manque ici. Néanmoins, encore faut-il l’emmener jusqu’à la maison...
A Saqqaq, il y avait deux façons de faire. Certains habitants descendaient sur la plage avec une bassine ou des seaux, pour récupérer des morceaux d’icebergs. Une fois la glace fondue, on obtient une eau tout à fait potable mais très faiblement minéralisée.
Il y avait également des pompes, installées à plusieurs endroits dans le village, qui distribuent de l’eau provenant d’un lac, situé au-dessus de Saqqaq.
Ainsi, nous avions une collection de bidons que nous allions remplir (sur la photo c’est juste une petite bouteille). Et nous utilisions une bouilloire pour pouvoir faire la vaisselle avec de l’eau chaude.
Quant à l’évacuation, toutes les eaux usées ressortaient directement derrière la maison par un tuyau. La consommation étant très faible, cela ne posait aucun problème. Nous faisions toutefois attention aux produits que nous utilisions (ne serait-ce que vis-à-vis des chiots qui se promènent en liberté dans le village).
Le village
J’ai rencontré Markus et Louisa lors d’un kaffemik, une fête où tout le village est invité à venir manger et boire à la maison. Markus célébrait son anniversaire, 21 ans. Les gens défilent ainsi toute la journée pour féliciter l’hôte et manger.
Markus est pêcheur, fils de pêcheur, et possède probablement l’une des plus belles maisons de la ville.
Le rez-de-chaussée permet notamment de ranger le quad, petit luxe appréciable. La maison est intégralement chauffée et très moderne, avec une belle cuisine américaine ouverte sur un très grand séjour et une salle télé/salle de jeux pour la petite fille de Markus et Louisa. Un système de cuve leur permet d’avoir l’eau « courante » (tout du moins au robinet) et une salle de bain avec de l’eau chaude. Signe extérieur de richesse, le sas où l’on se déchausse est lui aussi gigantesque. Vous ne verrez pas de photos de l’intérieur, mais même s’il s’agit d’un foyer très aisé, cette maison est bien plus représentative du Groenland actuel.
Les courses
Et comment fait-on les courses dans un village de 159 habitants ?Eh bien, étonnamment très facilement ! Trois magasins arrangent leurs horaires pour qu’on puisse presque tout le temps aller acheter quelque chose. Il y a ainsi la petite boutique avec quelques vêtements et des babioles, le supermarché Pilersuisoq (la grosse chaîne groenlandaise) avec une salle dédiée au bricolage et matériel, puis le Kadi Kiosk, une petite épicerie ouverte surtout le soir.
Bien sûr, ces magasins sont subventionnés pour pouvoir exister et garder un minimum de services dans le village.
Les infrastructures
Il n’y a pas de maire, mais l’administration se trouve dans le bâtiment de la commune, où l’on trouve aussi la salle des fêtes, des machines à laver et de grands étendoirs, ainsi que des toilettes et douches publiques. Pour quelques centimes, on peut se laver avec de l’eau chaude ! En effet, seules les maisons récentes sont équipées de salles de bain.
La ville compte 2 policiers à mi-temps, qui sont plus là pour rendre des services que pour arrêter qui que ce soit : il n’y a jamais de conflits.
Quant à l’église, elle trône toujours au centre du village, mais n’est guère fréquentée.
Saqqaq est un village tranquille et paisible, tout simplement.
Les chiens
Paisible et tranquille, mais pas silencieux : il y a au moins autant de chiens que d’habitants ! L’hiver, les chasseurs attellent leurs meutes pour partir chasser en traineau. Et tous les soirs, c’est un véritable concert au moment où les meutes sont nourries... Les chiens voient arriver leurs propriétaires de loin, se mettent à hurler, et ne s’arrêtent qu’une fois servis. Ils auront des restes de la pêche ou de la chasse (en été, ils auront du phoque, par exemple).
Les chiens adultes sont tous attachés. Les petits sont laissés en liberté mais s’éloignent rarement de leur mère. Ils sont curieux, joueurs, et peuvent être envahissants. On a donc essayé de ne pas trop les caresser, mais c’était quand même sacrément tentant pour Petite Oreille !
À aucun moment nous ne les avons vus agressifs, mais le bon sens veut qu’on ne passe jamais au milieu. Entrer sur leur territoire pourrait s’avérer dangereux... Nous avons donc toujours gardé nos distances avec les chiens adultes !
Mais en tant que voyageur,
que fait-on dans un village comme Saqqaq ?
Eh bien on savoure le calme, on apprécie cette vie au ralenti. On observe les paysages aussi, et les icebergs, fascinants, qui se brisent, chavirent, craquent, se retournent.
Petite Oreille a passé quelques heures aux jeux pour enfants, car même dans un si petit village, il y a de super installations. Elle y a rencontré d’autres enfants, avec qui elle a ramassé les cailloux sur la plage du port...
Quelques photos de plus !
Mon matériel photo et vidéo sur ce voyage
Pour ce voyage un peu particulier (tournage de mon premier documentaire), j’étais plus chargée que d’habitude !
Appareil reflex Canon 5d mark II // Appareil reflex Canon 6d
Objectif Canon 16 – 35 II // Objectif Sigma 20mm 1.4 // Objectif Canon 70 – 200
Intervallomètre Phottix // beaucoup de batteries ! // Trépied Manfrotto Befree carbone
Sac Manfrotto Bumblebee et Aviator D1 pour drone
J’ai aussi de temps à autre piqué le Sigma 105mm 2.8 de mon père pour quelques plans.
Partenaires
Ce projet a pu se réaliser grâce à la complicité de l’Office de Tourisme du Groenland et à l’aide précieuse de Grand Nord Grand Large.
28 commentaires
Tu m’étonnes avec leur bouille d’amour que ta fille n’ait pu résister à leur faire des câlins à ces chiots !
Les photos sont très belles et épurées. Beaucoup de nuances de couleur au final dans ce paysage très minéral !
Et en plus, nous y étions au début de l’automne, ce qui rajoute encore des couleurs (qu’on n’attend effectivement pas forcément en pensant « Groenland ») !
Vraiment très beau et paisible. Merci pour le partage.
Comment ne pas tomber sous le charme de ce lieu ? C’est juste incroyable !
Waouh ! Tes photos sont sublimes, et l’article sur le mode de vie au Groenland très enrichissant. Saqqaq semble être une jolie parenthèse remplie de douceur et de simplicité
Encore une fois me voila conquise....
Je suis complètement envoûtée par ce reportage – merci pour ton récit qui me laisse rêveuse. J’ai déjà adoré l’Islande, où nous avons fait deux échanges de maison mais j’espère pouvoir un jour monter encore plus au nord pour rejoindre le Groenland.
Merci de nous prouver qu’on peut faire ce genre de voyage en famille.
Je pense même que le Groenland est plus accessibles aux familles voyageuses que de nombreux pays ! (à commencer par la France)
Trop adorables les toutou !!! <3
Je suis amoureuse des icebergs !! Depuis que j’en ai vu en Islande, je n’attends qu’une nouvelle occasion d’en admirer. Tes photos sont sublimes, comme d’habitude, on ne s’en lasse pas.
Pour avoir aussi été en Islande je peux même te dire que c’est ici complètement autre chose : ils sont BEAUCOUP plus gros, et on se sent vraiment dans le royaume des glaces !
Les paysages sont magnifiques ! J’aurai jamais pensé à partir là bas en vacances mais après tout pourquoi pas ! Pour y trouver du calme et s’éloigner un temps de la civilisation. Je la mets sur ma liste de voyage 😉
bonjour,
cela doit etre fantastique.....beau reportage ..
les iceberg sont d’une beauté facinante...
marc
Superbe article que ce soit pour les images ou le récit.
Les paysages sont magnifiques. Bravo pour ce beau reportage Madame Oreille 🙂
c’est absolument fascinant... ce petit village, ces vues, ces maisons qui semblent posée là juste pour permettre aux habitants de contempler cette extraordinaire nature... je suis subjuguée par le récit et les photos qui rendent un très bel hommage à ce village ...
Exactement le genre d’endroit où je rêverais d’aller juste histoire de laisser filer le temps pendant des heures en observant cette nature qui nous rend bien humble. Superbe !
Et deux semaines après nous étions sur l’île de Disko : on voyait les baleines sauter depuis le salon ! ça vous plairait 😉
bravo pour ce partage, cela donne envie.... tu as trouvé la location de maison comment ?
Cet endroit a l’air vraiment splendide !
Vraiment un billet magnifique. J’avais vu Qivitoq il y a très longtemps et je ne pensais pas relire ce nom un jour. Je crois que j’irai braver le froid un de ces quatre.
Ah ben mince, comment tu avais entendu parler de ce film ?
Tes photos sont toujours à couper le souffle ! Et j’ai appris pas mal de trucs en lisant ton article donc merci !
Wouah ! Ca donne tellement envie ! Ce calme qui ressort de tes photos.. c’est vraiment beau !
Splendide. A chaque fois que je viens voir votre site, j’ai toujours envie de voyage après. 🙂
Vraiment fascinant ! Comme d’habitude tes photos sont magnifiques ! Je suis toujours impressionnes par les gens qui arrivent à vivre dans des endroits si reculés et par l’ingéniosité qu’ils doivent mettre en œuvre pour le quotidien ! Les maisons ont quand même l’air très confortable !
Du coup je me pose aussi des questions sur le chauffage et l’électricien.. Quelle énergie est utilisée pour un si petit village ? Pas de bois, le soleil c’est bien l’été mais l’hiver... du fioul ?
Bonjour,
Tout d’abord bravo pour votre blog !
Je suis professeur de français et documentaliste dans un campus primaire-collège à Istanbul.
Je voulais vous informer que dans le cadre d’un projet de rédaction de cartes postales imaginaires, les élèves turcs de 4 classes travaillent sur votre blog et plus particulièrement sur ce séjour au Groenland.
Si vous le souhaitez, je pourrai, une fois le projet terminé, vous envoyer leurs cartes postales scannées.
N’hésitez pas à échanger avec nous, ça leur ferait très plaisir !
Superbe ! Nous adorons les destinations atypiques qui sortent de l’ordinaire, peu de touristes s’y rendent et nous espérons que nous recevrons des demandes de la part de nos clients. Toutefois nous avons remarqué un regain d’intérêt pour l’Europe de Nord, et avec de telles photos on ne peut que craquer
Ah, c’est un article que je trouve génial. Cette destination doit être exceptionnelle, j’espère pouvoir visiter cette partie du monde un jour même s’il y fait très froid. Les chiens sont magnifiques !
Bonjour, merci beaucoup pour ce témoignage!j’ai eu le bonheur de passer trois jours dans une famille à Saqqaq en 2016 et je ne l’ai jamais oublié, c’était en mai, le printemps débutait et cet endroit a été celui qui m’a fasciné le plus du Groenland où je passe pourtant pas mal de temps en été.
Je cherche aujourd’hui à retrouver un homme que j’ai rencontré la bas, un vieux danois qui y vit trois mois par an ; il s’appelle Flemings. Est-ce que ça vous dit qqchose ? pensez vous que Grand nord Grand large pourrait m’aider ? merci beaucoup pour votre aide!bien à vous, Daphné