Le titre est assez parlant, je pourrais me passer d’écrire l’article. Mais je vais quand même essayer d’argumenter un peu et d’expliquer mon point de vue. Je constate souvent une certaine nostalgie de l’argentique ; cette idée selon laquelle on prenait moins de photos, faisant que l’on s’appliquait donc peut-être davantage. Je ne suis pas convaincue par le fait qu’on shootait moins, ni par le fait que la quantité nuise à la qualité.
Alors, oui, le quidam, les gens comme vous et moi, ne pouvait pas prendre une quantité astronomique de photos, sous peine de voir le budget exploser ; ce qui ne m’empêchait pas de doubler systématiquement toutes les prises, pour assurer un minimum, puisqu’on ne pouvait rien vérifier. Cependant, les « grands » photographes, eux, n’étaient pas à dix (anciens) francs près : ils partaient avec des dizaines de pellicules à remplir.
S’il y a des parisiens parmi vous, ils se souviennent peut-être d’une expo qui m’avait personnellement beaucoup marquée. C’était il y a quelques années, à Beaubourg. William Klein exposait des planches contacts peintes. La planche contact, c’est quelque chose qu’on voit un peu moins, mais qui permettait d’avoir une vue d’ensemble sur une série de photos pour sélectionner celles qu’on va tirer (comme on peut le retrouver simplement en ouvrant notre explorateur de fichiers). Ça ressemble en général à ça :
En voyant cette expo, j’ai réalisé plusieurs choses. D’une part, l’instant décisif n’existe pas. Pour chaque photo sélectionnée par Klein, on en voyait des dizaines d’autres, presque identiques, même lieu, même sujet. Et si l’instant décisif devait exister, on ne s’en rendrait compte qu’après, quand on est devant sa planche contact, Bridge, ou n’importe quel explorateur de fichiers. J’ai compris qu’en photo, il y avait deux choix : celui qu’on fait en décidant de déclencher, et surtout, celui qu’on fait après, lorsque l’on sélectionne LA photo, celle qui se détache du lot.
Certains pensent que prendre plusieurs photos, c’est le meilleur moyen de rater la bonne. Ce n’est pas nécessairement faux. Le but n’est pas de ramener le plus de photos possible, mais d’exploiter toutes les possibilités offertes par un lieu ou un moment. De reprendre une photo une fois, deux fois, trois fois, si un élément change et vous paraît plus intéressant. Vous ne garderez pas tout, vous aurez sans doute des ratés, et shooter plus n’assure pas un taux de réussite supérieur : on ne peut pas faire de statistiques sur le pourcentage de « déchets », il variera selon les personnes, les jours, les lieux.
Un exemple. Vous arrivez dans un lieu magnifique, la lumière est parfaite, il y a de l’animation : tous les ingrédients sont réunis pour réussir une jolie photo. Vous prenez une première photo, elle vous plaît. Mais pourquoi s’en contenter ? Allez plus loin, essayez un autre point de vue, repérez un personnage différent qui va passer dans votre cadre, bref, ne vous contentez pas de votre première impression. Plus tard, en effectuant le tri et la sélection des photos, il y a des chances pour que la première photo n’ait finalement pas votre préférence...
En conclusion : ne lâchez pas un bon sujet parce que vous pensez avoir une bonne photo. Au contraire, multipliez les points de vue, cherchez de nouveaux angles, faîtes des gros plans !
21 commentaires
Tres bon point de vue ! J’avoue que je faisais partie de ces gens qui preferaient l’argentique, et j’ai refuse pendant longtemps de passer au numerique!(un peu comme la resistance au telephone portable.. On dirait que j’ai 70ans) Mais quel confort de shooter avec un reflex numerique. Je suis aussi du genre a prendre plusieurs fois la « meme » photo, et faire le tri plus tard.
Peut-etre un des aspect que je regrette vraiment de l’argentique, c’etait de developper les photos dans la chambre noire (N&B). Moment vraiment special, que je ne retrouve pas quand je me mets derriere mon PC avec Lightroom...D’ailleurs je sortais toujours des planches contact avant tout. 🙂 mais c’est clair que pour ce qui etait de la couleur, les multiples essaie, ca pouvait revenir vite tres cher !
Merci pour l’article !
Ah c’est vrai qu’on n’a plus ce petit côté magique de la photo qui apparaît dans le révélateur ; ça avait son charme. Cela dit, on gagne un autre truc magique : la photo qui apparait directement sur le LCD et qu’on peut donc, non seulement visualiser pour vérifier, mais aussi et surtout montrer aux gens dont on tire le portrait 🙂
Ben tu vois, mon fils commence la photo et curieusement, il s’est procuré un ancien modèle argentique, histoire d’expérimenter un peu. Le problème ? Il y a de moins en moins de points de vente de pellicules. Donc, il fait des essais oui, mais il limite les prises de vues.
Hé, j’oubliais ! Monsieur Oreille sort de l’ombre ? J’ai « lu » ça chez Fabrice...
Pour moi, je n’ai pas la nostalgie de l’argentique par rapport aux nombres de photos que je pouvais prendre.
C’est plutôt la magie du labo photo et de la chambre obscure : la magie de voir apparaitre les photos.
Ca avec le numérique, c’est pas pareil...
Martine : c’est pour ça qu’au final, j’ai de gros doutes quand certains pensent que « c’est la meilleure école ». C’est aussi bien de pouvoir expérimenter, et de ne pas toujours avoir peur de gaspiller de la pellicule...
Monsieur Oreille lit la plupart des blogs que je lis (et travaille beaucoup dans l’ombre ici, puisqu’il relit tout!), mais parfois, selon son humeur, il ressent le besoin de s’exprimer 😀
Fabrice : certes, voir la photo sortir de l’imprimante n’a pas le même charme.
Cela étant, mon but en écrivant cet article n’était pas de dire que le numérique ou l’argentique c’est mieux, juste d’expliquer pourquoi je considère que prendre moins de photos n’est pas toujours une bonne chose, quel que soit l’appareil.
Moi je n’idéalise pas ... mais récemment je suis tombée sur une boîte remplie de vieilles photos, datant de 1970 – 74 prises par mes parents ... certaines ont même un peu jauni j’ai trouvé ça très beau ...
😉
Nostalgie !!!
Chouette coup de bouche !
Je suis d’accord sur toute la ligne : mieux vaut prendre plus de photos et faire la sélection après... Pour ma part j’en ai toujours plusieurs de la même, que j’efface parfois dès l’écran de l’appareil (mais ça je sais, c’est pas top car on voit pas tout sur ces petits écrans)...
Mademoiselle S : allez, un de ces jours, je ferai un tuto pour donner un effet vintage à des photos récentes !
Ye Lili : oh, je supprime également assez souvent directement sur l’appareil. Quand y’a un gros flou, quelqu’un qui passe devant au mauvais moment, etc. on le voit suffisamment bien sur l’écran LCD !
Comme Fabrice, c’est le labo photo qui me manque. L’argentique, pas tellement. Ça coutait une fortune (pellicules, papiers-photos, etc.) et comme mes profs de photos successifs l’ont toujours répété : « sur une pellicule de 36, vous serez heureux si vous avez une bonne photo ». Je suppose que les pros ont un meilleur taux de réussite mais pour l’étudiante fauchée que j’étais, c’était assez cauchemardesque ! A présent, on peut mitrailler en changeant les angles de vue, le champ de vision sans plus besoin de penser au nombre de vues qu’on peu encore prendre ! Quelques cartes-mémoire en voyage tiennent un bout de temps, même en RAW ! 😉
Bien qu’ayant utilisé l’argentique pendant quelques années je n’ai pas de réel nostalgie pour celui-ci même si j’aimais bien cela, surtout le laboratoire.
Mais le numérique a tellement d’avantages !!!
Et puis ‚rien ne m’empêche de ressortir mes réflex argentiques si l’envi m’en prends (pour le labo, ce sera plus dur mais bon. 🙂 ).
Bon ça va Oreille, si tu vas dans ce sens...
Et j’ai oublié de te dire : j’aime beaucoup l’effet « planche contacts » comment as-tu fait pour faire cela ?
Merci !
Mélissa : tous les grands photographes « mitraillent ». C’était particulièrement visible dans l’expo. On nous sert cet espèce de mythe d’un Doisneau (ou n’importe quel autre) qui serait à attendre le bon moment pour LA photo, comme si 36 poses devenaient 36 chefs d’œuvres, alors que tous les grands photographes remplissaient leurs poches de pellicules ! Il n’y a que nous, les pauvres, que devions économiser 😀
Rémi : oui, focalisons-nous sur les avantages. C’est quand même tellement plus facile d’apprendre quand on peut essayer, réessayer, et tout de suite comprendre une erreur...
Ye Lili : je les avais « fabriquées » pour mes carnets. En fait il c’est juste des scans, dans lesquels j’ai incrusté mes photos 🙂
Ce que j’apprécie le plus dans le numérique c’est la démocratisation de la photo, fini le temps ou l’achat pellicules et les prix développement correspondait à un mois de salaire chacun .
La moitié du sac était occupé par les diapos et les N/B ‚je ne vous parle pas du poids .
Maintenant je peux enfin photographier tous les sujets qui me plaisent même les plus anodins.
Mitraillée est rarement une bonne façon de faire même pour un pro car vous risquez d’ennuyer ou de faire fuir votre sujet .
Il y à quelques années j’avais lu que pour 1 photo publiée 80 pellicules étaient utilisées c’était pour National Géographic
Bacri : oui c’est quand même beaucoup plus abordable maintenant, malgré l’investissement de départ. Quand j’utilise le terme « mitrailler », c’est pas pour dire « faire de la rafale sur tout et n’importe quoi », mais juste essayer de faire d’autres photos d’un bon sujet, une nouvelle pose, un autre angle, etc.
Assez intéressant ce que tu dis sur la planche contact ! C’est pareil pour l’oeil photographique, rien n’est inné tout s’apprend !
Bruno : oh mon dieu, comme ça m’agace toutes ces conneries de « don » et de « il a ça dans le sang », blablabla ! Le travail, point ! (ou un très bon assistant, pour certains photographes 😉 )
Je suis globalement d’accord avec le point de vue développé dans l’article.
Néanmoins, il y a une chose (un peu) agaçante avec le numérique et que je vois parfois (et moi y compris malheureusement) : le coté « je shoote sans réfléchir au cadrage ou à la lumière parce que de toutes façons je vais tout retoucher en post traitement ».
Malgré tout, l’argentique obligeait à « penser » un peu plus sa photo.
Lemerou : mouais... c’est une mauvaise habitude à corriger, mais c’est plus la faute du photographe que de son matériel :p Et puis, quand on se prend la tête à retoucher des photos loupées, ça vaccine, non ?
J’ai tendance à penser que l’argentique permet vraiment au photographe d’essayer de composer son image au maximum. Lorsque je shoot avec mon 6×6, je sais que chaque image va me coûter dans les 3.- entre la pellicule, les produits, le scan ect... donc automatiquement, je m’applique à ne rien négliger (du moins j’essaye).
Je suis sorti un jour en montagne avec une personne. Alors que j’avais fais peut-être une 30aine d’images au numérique et 12 images au 6×6 argentique, mon collègue avait shooté l’équivalent de 1500 photos !
Bien sur que sur 1500 y’en aura une de bonne, mais est-ce ça la créativité ?
Salutations
Alain
Salut !
Mon grain de sel perso :
1. C’est exact : le plus grand secret de la photo c’est qu’il faut travailler une scène quelque soit le medium. Au final le nombre de clichés est nécessairement élevé. Dès qu’on prend deux photos du même sujet on tombe dans cette logique ... Peu importe le nombre total. Il est vrai cependant qu’on se freine un peu plus en argentique qu’en numérique pour une raison de coût. Mais la vrai différence n’est pas là, elle c’est cette différence qui induit un résultat qualitatif INCOMPARABLE à mon sens.
2. LA différence : c’est qu’en argentique on se projette dans l’image car on ne peut pas la voir juste après. Le processus créatif est donc à des années lumières car tout se passe dans la projection mentale, imaginer le rendu, capturer le bon moment, passer à une autre scène, un autre angle. Tout cela, et bien plus encore, est le fruit d’une pure décision personnelle et non pas une réaction par rapport à l’écran de capture. Le numériste ou plutôt le photronicien est dans la réaction alors que le photographe (argentique) reste complètement immergé dans un processus purement créatif.
Perso je travaille en numérique pour mes clients et suis donc un photronicien dans ce cas... Pour toutes mes prises de vues perso je suis en argentique, et même s’il m’arrive parfois, à mon grand regret, d’oublier le coût induit par le choix de l’argentique, je peux garantir que le processus créatif est radicalement différent.
A mon sens la nature du processus créatif plus la beauté du rendu sont les deux points qui expliquent pourquoi il existe encore des personnes qui soutiennent ce médium : la photo argentique. Le nombre de photos est juste un point mineur dans la différence du medium argentique et numérique, mais c’est en effet le plus saillant pour le quidam. Dommage ...