Je rêvais du GR20, une randonnée mythique traversant la Corse, une randonnée aussi connue pour sa difficulté que pour ses paysages. En septembre, l’occasion m’a été donnée de rejoindre un groupe en Haute-Corse pour quelques jours sur le sentier rouge et blanc. Et j’ai sauté dans un train !
Le voyage commence à Toulon, en une chaude fin de journée. J’ai quitté la grisaille parisienne, et me voilà à la terrasse d’un petit bar, dans le port. Je regarde le soleil décliner en attendant de rejoindre mon bateau. Ce soir j’embarque sur Corsica Ferries, pour une traversée de nuit jusqu’à Bastia.
A peine mes affaires déposées dans ma cabine, je rejoins le capitaine. Petite chance et grand privilège, je vais pouvoir assister au départ depuis cet endroit stratégique qu’est le poste de commande. Pour ne pas éblouir l’équipage, les lumières sont éteintes. Chaque mouvement est millimétré, le navire est immense et il ne faut pas heurter le pont.
Lors d’un voyage en cargo, il y a quelques années, j’avais appris que les entrées et sorties de port n’étaient pas effectuée par les capitaines mais par des pilotes employés dans chaque port. Ce sont eux qui connaissent ainsi parfaitement les lieux et permettent une manœuvre fluide.
Le capitaine de mon Corsica Ferry ne semble pas stressé pour un sou. Il est silencieux, concentré mais sûr de lui, comme tout le monde dans la pièce.
Ce départ tout en douceur est le prélude à une nuit elle aussi sans remou, bercée par les flots. J’émerge tranquillement alors que nous accostons à Bastia. Le soleil commence à peine à se lever. Pas le temps de visiter la ville, je grimpe dans un bus.
Calasima. Le bus nous laisse sur un petit bout de parking, au bord d’une route sinueuse qui serpente les montagnes et la vallée de Niolu. Le village est construit à flan de colline, un peu loin de tout. On y croise quelques cochons et deux chiens.
Je ressers mes bretelles, sangle mon sac, et fixe le col au loin : ce soir, je dormirai de l’autre côté.
C’est une longue ascension qui m’attend. Il nous faut rejoindre le GR20, et pour cela emprunter des chemins de traverse au milieu des pins laricio. Je me retourne, régulièrement, avec ces montagnes sublimes qui semblent
me narguer. On les appelle les Cinque Frati, les cinq moines. Et les ecclésiastiques nous fixent, passant de rocher en rocher, alors que le sentier est de plus en plus à pic.Certains passages virent franchement à l’escalade. Je me retourne, ils n’ont pas bougé, satanés pitons.
Au loin, au fond de la vallée, je contemple le lac de Calacuccia, bien asséché. Il n’a pas plu ici depuis longtemps. A tel point que nous ne savons pas s’il sera possible d’avoir une douche au refuge !
Enfin, nous atteignons le col de Foggiale. Fini l’escalade dans les cailloux, je suis un sentier tout doux jusqu’au refuge de Ciottulu di i Mori, le plus haut refuge du GR20 qui domine toute la vallée. On peut y dormir en dortoir, planter sa propre tente ou en louer une. L’option tente de location me plait bien, permettant d’espérer une nuit un peu plus calme, sans les ronfleurs, les parleurs, les péteurs, les couches tard, les lève tôt et autres joyeux drilles qu’on côtoie dans les dortoirs des refuges.
Je me déleste de mon sac avec plaisir, mais la journée ne s’arrête pas pour autant. Je marche un petit peu jusque sur les hauteurs pour admirer le coucher de soleil sur le golfe de Porto.
La nuit est courte et le réveil saisissant par ses lumières et couleurs. Difficiles d’en rendre compte en photo, il aurait fallu filmer ces rayons de soleil dessinant les cimes des montagnes corses, façonnant les reliefs à coup d’ombres portées, donnant vie au moindre caillou. En bas, je distingue les premiers randonneurs déjà partis. Ce sont ceux qui doublent ou triplent les étapes, marchant jusqu’à la nuit tombée, s’écroulant et recommençant le lendemain. Si je comprends le défi sportif et la satisfaction d’aller au bout, je n’en suis pas moins très bien sur mon rocher, à contempler le lever du soleil.
Je reprends la marche après le petit-déjeuner, quand le soleil est déjà bien levé. Depuis la vallée, la vue est imprenable sur le Paglia Orba, au pied duquel je dormais. En cherchant bien, on aperçoit le refuge, minuscule, lové entre le Paglia Orba et son petit voisin, le Capu Tafunatu.
Nous suivons un petit cours d’eau... qui est en fait le Golo, le plus grand fleuve de Corse.
L’étape Ciottulu – Manganu est la plus longue du GR20. Nous longeons longtemps le Golo, passons à côté de la bergerie de Radule, et des cascades voisines, marchons quelques heures dans la forêt. La végétation change au fil des kilomètres et de l’attitude. Les pins font place aux hêtres et aux belles couleurs chaudes de l’automne.
Au col Saint-Pierre, je fais une pause, stupéfaite par la beauté du panorama qui s’offre à moi de chaque côté, et par ces arbres sculptés par le vent qui souffle en permanence. Le sentier se poursuit sur les crêtes. Les nuages enveloppent peu à peu les sommets et ce GR20 revêt alors des allures mystiques.
L’arrivée au lac de Nino en fin d’après-midi marque la dernière ligne droite. Nous marchons enfin sur un terrain plat, sans cailloux, sans devoir fixer les chaussures pour ne pas trébucher. Le nez en l’air je profite des derniers instants de lumière, nous terminerons le chemin de nuit.
Nous dormons dans une bergerie, non loin du refuge de Manganu. L’ambiance est à la fête. Ça chante (corse), ça boit (corse), et tout le monde est entassé dans une pièce minuscule, à la fois cuisine, salle à manger, bureau, épicerie...
Grand luxe, ce soir je bénéficie d’une douce chaude. Un petit cabanon avec un chauffe-eau à gaz et oooh, mon dieu que ça fait du bien. Car oui, en pleine journée, il fait beau, mais une fois la nuit tombée, les températures l’accompagnent, et ça descend.... Vraiment. Beaucoup. J’ai choisi mon duvet le plus compact, qui s’avère être aussi celui qui supporte des températures négatives, et finalement ce n’est pas du luxe. Au petit matin, il fera 3°C !
L’herbe est couverte de givre quand je pousse la porte ce matin-là, et c’est blottie dans ma polaire que je commence la marche du jour. Nous bifurquons pour quitter le GR20. Direction le superbe (mais froid) lac de Goria.
Non, au dessus, c’est pas lui le lac de Goria. Ça c’est juste un petit trou d’eau. Le lac de Goria, il est un peu plus grand... et il est connu pour permettre facilement la baignade. A 1852m d’altitude, l’eau est rarement à 30°C, mais aujourd’hui, on est plus tramontane que sirocco, et ce sont les températures qui tombent et non ma veste.
Le lac de Goria est sublime. Alors que j’avance entre dalles et rochers, je ne me lasse pas de regarder sa couleur vive changer au gré des nuages. Tantôt limpide, tantôt foncée, verte, bleue, métallisée... Nous montons juqu’au col de Chiostru. Et si jusqu’à présent j’avais trouvé le parcours « abordable », là, je me demande franchement où passer. Plus de balisage, il faut essayer de suivre les petits cairns pour de frayer un chemin dans ce qui ne me semble être qu’un immense éboulis à pic. Les genoux souffrent, je pèse chacun de mes pas, prenant souvent les bâtons dans une main pour me tenir à la paroi. Ne pas glisser.
Vallée de la Restonica. Le chemin se fait moins caillouteux, plus plat, ressemble de plus en plus à un sentier. Ça y est la descente est finie. Au fond, un parking et une petite échoppe. J’aurais presque envie de finir en courant, pour sentir à nouveau mes jambes, me défouler, me détendre, et mériter ce verre de Pietra !
Dans le bus qui me ramène au port d’Ajaccio, je me prends à rêver de revenir en Corse, finir le GR20. 15 jours, une étape par jour, doucement, en prenant le temps d’admirer les vallées, de mettre ses pieds dans les rivières, de regarder les montagnes. Car pendant trois jours j’en ai pris plein les yeux. Des paysages incroyables, variés, magnifiques.
Je me laisse tomber sur mon lit pendant que le ferry quitte doucement la Corse.
Je suis réveillée par le soleil alors que j’arrive à Toulon. Il y a quelque chose d’un peu magique aux transports en bateau, l’impression de prolonger un petit peu le voyage de quelques heures, le temps d’arriver sur le continent.
Infos Pratiques
Peut-on emmener des enfants sur le GR20 ? Plusieurs personnes m’ont demandé si j’allais emmener ma fille avec moi. La réponse est clairement non. Il y a des randonnées en Corse qui sont possibles pour les familles, mais le GR20 n’en fait pas du tout partie.
Le GR20 c’est difficile ? Oui et non. Ce ne sont pas beaux sentiers, il faut imaginer des cailloux partout. Et un peu d’escalade. D’où l’impossibilité d’emmener des enfants ! Il faut un minimum de condition physique. Mais ça faisait un bout de temps que je n’avais pas fait de sport et j’ai survécu sans courbature ni douleurs (je ne l’ai pas fait en entier, mais sur des randos longues, le plus dur est toujours la « mise en route » des premiers jours). Certains doubleront les étapes, d’autres tripleront. L’important c’est de le faire à son rythme. La version classique, avec une étape par jour pendant quinze jours est, me semble-t-il, accessible à qui aime marcher.
Le GR20 c’est dangereux ? La montagne est un univers particulier, qui demande un peu d’humilité et de précaution. Ne pas hésiter à demander dans les refuges les prévisions météo, et ne pas se surestimer. Il vaut mieux perdre une journée que de se retrouver pris dans un orage à devoir escalader des pierres devenues glissantes.
Comment sont les refuges ? Rustiques ! Les refuges n’ont pas vraiment changé depuis la mise en place du GR. Donc les toilettes, ben, faut choisir son caillou ou son bosquet, et puis la douche, bah, elle ne sera pas toujours chaude. Par contre, il est maintenant possible de louer une tente dans chaque refuge, ce qui évite d’en porter une tout en fuyant la promiscuité des dortoirs. On peut également bénéficier de la demi-pension dans les refuges ou y cuisiner (les repas proposés me semblent par contre très chers).
Pourquoi prendre le bateau pour aller en Corse ? Financièrement, ça peut être intéressant en s’y prenant à l’avance et il faut savoir que les prix varient selon que vous venez avec une voiture, en tant que piéton, que vous prenez une cabine, un siège, ou que vous dormez sur un bout de banquette (oui, c’est possible, si on veut vraiment économiser). La cabine est quand même un petit confort agréable, avec des lits confortables et une salle de bain (une bonne vraie douche après la marche !).
Corsica Ferries propose plusieurs connexions au départ de Toulon ou Nice et à destination de Bastia, Ajaccio, ou Calvi.
Comment préparer sa randonnée sur le GR20 ? Le sentier que j’ai emprunté m’a semblé très bien balisé, mais je vous conseille d’investir dans une carte ou un topo guide, ne serait-ce que pour savoir chaque matin à quoi vous attendre. Vous trouverez de nombreuses ressources utiles sur internet avec des descriptifs détaillés des tronçons et des infos pour organiser vos transferts depuis les ports ou aéroports.
Mon matériel photo sur ce voyage
Sac Manfrotto Off Road – Appareil reflex Canon 5d mark II – Objectif Canon 16 – 35 II
29 commentaires
Bravo Aurélie, encore un reportage magnifique avec de jolies photos ! Cela me conforte dans mon idée de réaliser le GR20 en entier dans la première quinzaine de Juin 2016.
ps : ne tient pas compte de mon 1er commentaire...parti trop vite
les photos sont magnifiques ! bravo
Superbe !!!
Sublime ... Je prends note de quelques infos intéressantes pour mon aventure de l’année prochaine 🙂 c’est pas mal l’idée de louer la tente. Je pensais en acheter une bien plus légère que celle que j’ai actuellement mais finalement je pense que je vais opter pour une location.
C’est un coût à prévoir mais je trouve que ça vaut la peine, vu qu’on gagne quand même au mois 2kg ! (Tente + matelas !)
Si le matelas est fourni avec la tente ... La c’est top !! quelle est la moyenne de prix pour une location ? Je viens de regarder avec ma tente et mon matelas, je suis actuellement à 2,7 kg + 620gr. cela peut faire un joli gain de poids ^^
Just want to say : » Redoutable les photos dans le ferry 🙂 »
Ouah, mais comment faites-vous pour faire d’aussi belles prises de vue ? J’ai lu récemment que vous utilisiez un polarisant ? Quoiqu’il en soit c’est sublime, je vous suis avec beaucoup d’attentions et vous m’avez donné l’idée de ma prochaine randonnée à deux ! Merci !!! Et belle continuation
Salut Madame Oreille, une question, je m’étais abonnée à la newsletter, et je n’ai pas reçu de mail pour ce dernier article. Je suis allée sur ton site pour remplir le champ tout en bas à droite à l’abonnement à la newsletter, mais il m’a indiqué que mon adresse était déjà inscrite. Aurais-tu une solution à ce souci ? Merci à toi ! 🙂
Magnifiques photos ! J’aimerais beaucoup faire cette randonnée, ça fait déjà un moment que j’y pense. Mais je ne pense pas être en assez bonne condition physique pour le moment. Après un peu d’entrainement peut-être 🙂
J’avais hâte de lire ce récit après avoir eu un aperçu de tes photos sur Instagram (je suis moi-même finisher de ce sacré GR20 en 12 jours en autonomie) et je ne suis pas déçue, tes photos sont encore une fois grandiose ! Cette grande randonnée était pour nous un rêve et un challenge, j’ai transpiré à grosses gouttes, j’ai eu envie d’arrêter, j’ai versé quelques larmes mais j’ai terminé et c’est une expérience que personne ne pourra jamais m’enlever. Je tenais à préciser que le GR20 reste une randonnée qui n’est pas accessible à tout le monde car elle est difficile et là je persiste et je signe, car trop de monde se lance à l’assaut des montagnes sans avoir aucune idée de ce qui les attend.
Aurélie, n’hésite pas une seconde à le parcourir en entier, je suis sûre que tu vas adorer et si j’ose un conseil, la version Nord-Sud est la meilleure, même si elle demande un peu plus de condition physique...
des paysages à couper le souffle ! juste magnifique... tes photos sont toujours superbes et ces lumières... je ne m’en lasse pas...
Superbes photos, bravo. Pour avoir fait le GR20 dans son intégralité il y a 10 ans, je peux dire que les 3 premiers jours ne sont pas forcément les plus durs, une certaine lassitude peut s’installer au bout d’une dizaine de jours, même si les paysages restent magnifiques. En tout cas, un des plus beaux GR que j’ai pu faire.
Que de bons souvenirs à travers tes photos ! Ca donne envie de recommencer (mais je vais m’entraîner un peu avant...)!
Les photos sont superbes, ça donne vraiment envie d’aller en Corse pour voir ce type de paysages.
Faut vraiment aller voir, cela vaut le coup.
Il faut vraiment..... c est une telh experience!!!!!!!!!!
C’est magnifique mais les premières étapes du Nord sont assez difficiles. Il faut un bon entrainement.
Très beau billet, partagé chez nous. 🙂
Merci beaucoup 🙂
Des paysages à couper le souffle ! As-tu utilisé un filtre polarisant pour avoir d’aussi belles couleurs ou tu es passée de manière prioritaire par la post-production ?
En tout cas, ça me donne bien envie d’aller faire un tour sur ce sentier, je suis pas une grande sportive mais j’ai fait une petite rando de 5 – 6h en montagne à Gênes il n’y a pas longtemps et c’était très sympa... et quelle vue ! 🙂
[…] qui j’étais déjà partie il y a 3 ans, et faisais la connaissance d’Aurélie alias Madame Oreille, Céline de Je Papote, Mary aka Les Baskets Roses, Benjamin de Benoblog et François du blog Un […]
des photos magnifique ; mais dommage que je ne puisse lire les exifs
Salut Aurélie. Quelque question sur ton ciel étoilé :
‑utilise tu ton filtre polarisant pour les photo de nuit ?
‑te rappelle tu du réglage ISO ? (j’ai pour projet l’acquisition d’un 5D mark II et aimerai savoir j’usqu’ou on peut pousser la bête dans ce genre de condition).
‑en quoi la télécommande est-elle utile ? Vue la netteté des étoile j’imagine que tu ouvre bien moins de 30sec, et si c’est pour le mouvement du doigt sur le déclencheur, n’y a‑t-il pas un retardateur ?
Merci pour le récit, j’espère fouler se sentier moi même un de ces quatre.
Bonjour,
C’est avec plaisir que j’ai découvert votre reportage sur le GR 20 Corse.
Je l’ai effectué en 1990 avec des amis connus lors de trekkings en France.
Etant lecteur de la revue belge des sentiers de grande randonnée, je pense que votre article pourrait intéresser les lecteurs belges si vous le jugez utile.
C’est la seule revue francophone parlant de randos, de sentiers GR et trekkings.
Site http://www.grsentiers.org puis rubrique revues où l’on découvre les différents reportages de rando.
Contact rédaction : communications@grsentiers.org.
Merci pour les lecteurs belges.
Jean-Pierre
Merci pour cet article ! Moi j’ai une question concernant ton duvet, tu dis qu’il était bien compact, est ce que tu pourrais me donner la marque ? Je me prépare à faire le GR20 en entier du sud au nord sans doubler d’étape, à mon rythme avec la tente et mon copain (accessoirement :). Je cherche à m’équiper pour avoir du bon matériel mais aussi et surtout faire attention au poids de chaque élément du sac. Tous les conseils sont donc les bienvenus ! merci
Bonjour et merci pour ce reportage et ces photos que je découvre seulement !
Je partage ici mon site d’info sur le GR20 : https://gr20-infos.com/
Est ce que tu m’autorises à ajouter ton article dans la liste des « récits d’aventure » du site -> https://gr20-infos.com/communaute/recits/
La démarche est simplement d’aider les futurs randonneurs à préparer leur GR20 –
Merci à toi
Bonjour, nous souhaiterions aussi commencer au même endroit, nous venons de Belgique et arriverons demain à Bastia. Nous ne trouvons pas ce bus. Qui va jusqu’à calasima. Pouvez vous nous renseigner ? Merci
Priscilla
N’étant pas sur place, il m’est difficile de vous répondre. L’office de tourisme ou votre hôtel saurons sans doute mieux vous renseigner que moi. Bon courage !